Ali Chebbi : "La majorité des prévisions du FMI ne se sont pas réalisées ces 7 dernières années"

Ali Chebbi : "La majorité des prévisions du FMI ne se sont pas réalisées ces 7 dernières années"
Tunis-Hebdo
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Le rapport d’octobre 2018 portant 4ème revue du FMI suscite encore des questionnements quant à l’exactitude des résultats qu’il a dévoilés. Coïncidant avec la LDF 2019, ce rapport a fait, en outre, croître le sentiment d’inquiétude chez les Tunisiens par rapport aux restrictions budgétaires que le Gouvernement tunisien compte poursuivre l’année prochaine. Le professeur Ali Chebbi, économiste auprès d’une institution internationale, nous livre quelques réflexions sur ce rapport. Lisons-le !
Tunis-Hebdo : Les réformes qui ont accompagné le prêt-FMI ont-elles été satisfaites par la partie tunisienne ? Ali Chebbi : Indépendamment de l’origine des réformes accompagnant le prêt-FMI de 2,9 milliards de dollars sur quatre ans, et outre la qualité des négociations sous-jacentes, ces réformes ne sont pas toutes questionnables. Elles pourraient s’insérer dans la perspective d’un assainissement macro-économique visant à élargir l’espace fiscal, assainissement vu comme un préalable à une croissance soutenue. Maintenant que nous sommes devant le fait accompli, le Gouvernement tunisien a déjà adopté, sur un chemin escarpé, plus de la moitié de ces réformes par des décisions et mesures dont quelques-unes sont en cours d’approbation parlementaire, articulées autour de :
  • (1) l’adoption de l’ajustement trimestriel des prix des carburants,
  • (2) l’arrêt du recrutement dans la fonction publique et le départ anticipée des fonctionnaires à la retraite,
  • (3) augmentation de la TVA,
  • (4) des manœuvres visant à améliorer la gouvernance de quelques entreprises publiques,
  • (5) le nouveau statut de la BCT et la loi bancaire,
  • (6) le régime de change plus flexible,
  • (7) le ‘‘rationnement’’ des crédits bancaires par un taux-limite,
  • (8) le relèvement du taux directeur à plusieurs reprises…
T-H : Ces réformes ont-elles entraîné les résultats escomptés ? A.C : Mise à part leur justesse, après plus de deux ans de focalisation des autorités sur ces réformes, le déficit public, encore insoutenable, et les pressions inflationnistes inédites ne semblent pas être maîtrisés, le taux de change (NTD/$ et NTD/€) n’est pas stabilisé, le taux de créances carbonisés dans les banques publiques ne s’est pas réduit, et le problème de lenteur de la croissance ainsi que du chômage persistant demeurent entiers.

« Le FMI poursuit les versements des tranches en fonction de l’adoption des réformes prévues, et non de leurs résultats ! »

Pourtant, le dernier rapport du FMI d’octobre 2018, issu de la quatrième revue dans le cadre de l’arrangement de fonds prolongés et de la demande de modification des critères de performance, semble émettre une lecture globalement optimiste sur le devenir de la macro-économie tunisienne (lecture due partiellement aux informations fournies par les autorités locales), quoiqu’avec prudence à l’égard de risques de vulnérabilité. L’annonce par le FMI du ‘‘retour de la croissance’’ et de ‘‘la réduction du déficit public’’ se limite à une description sectorielle, mettant en avant la contribution de l’agriculture et le tourisme ; soit deux secteurs à haute volatilité, sans que des effets directs des réformes entamées soient élucidés. Par ailleurs, la majorité des prévisions de croissance du FMI ne se sont pas réalisées durant les 7 dernières années. T-H : S’agit-il d’un optimisme non mesuré de la part des analystes du FM ? A.C : Il semble qu’ils retiennent des scénarios optimistes. A cet effet, nombre de remarques s’imposent : D’abord, l’étendue des réformes accompagnant le prêt se limite aux équilibres macro-économiques seulement. Elles ne peuvent être prises pour un package d’une stratégie de développement inclusif quelconque, même si le FMI rappelle souvent l’aspect social et des mesures que le gouvernement devrait entreprendre. A notre sens, articuler toutes les mesures budgétaires autour de la convergence du profil du ratio ‘‘masse salariale/PIB’’ est réducteur dans une tendance de rétrécissement de la taille du secteur public sans référence quelconque à sa taille optimale. Mais, si les autorités tunisiennes, en mobilisant quasiment toutes les institutions de l’Etat en faveur de ces réformes visant seulement à élargir l’espace fiscal, n’ont pas, jusqu’alors, initié une stratégie intégrée de développement inclusif, c’est leur faute et non celle du FMI. Ce dernier est, en fait, tenu de poursuivre les versements des tranches programmées en fonction de l’adoption des réformes prévues, et non de leurs résultats. D’ailleurs, les critères quantitatifs de performance adoptés conjointement par le Gouvernement tunisien et le FMI le montrent.

« Après deux augmentations du taux directeur, le taux d’inflation s’est élevé et n’a diminué que récemment »

En outre, la BCT, en n’annonçant toujours pas son objectif poursuivi derrière (1) le relèvement du taux directeur et (2) le rationnement du crédit, à savoir celui de réduire son intervention sur le marché monétaire, en rendant l’argent plus cher pour limiter la pression sur la demande de devises, ne serait pas la meilleure gouvernance de la conduite de la politique monétaire. En effet, l’objectif annoncé, celui de la maîtrise de l’inflation par des mesures dites dans la littérature de régulation conjoncturelle, n’est toujours pas réalisé dans les délais communément connus d’environ 90 jours et non 2 ans ! Après deux augmentations du taux directeur, le taux d’inflation s’est élevé et n’a diminué, de manière insignifiante, que récemment, possiblement pour des raisons saisonnières. En poursuivant la même démarche, le problème initial de maîtriser l’inflation se transforme en un problème subsidiaire, à savoir celui de l’ajustement du taux d’intérêt nominal au taux de l’inflation, comme si cette dernière était une donne incontournable et que cet ajustement était une priorité, comme celle d’ailleurs de l’ajustement du taux de change effectif à son niveau d’équilibre correspondant spéculativement à 3 dinars pour un euro, et qui est déjà amplement dépassé ! T-H : Où se situe la responsabilité de la BCT ? A.C : La BCT renvoie le problème de l’inflation à des mesures dont le Gouvernement a manqué l’adoption. Ses prévisions défavorables pour 2019 et 2020, persistance des tensions inflationnistes, du taux d’endettement à plus de 90% du PIB, décrivent un positionnement devant être traité dans le cadre d’une institutionnalisation de sa coordination avec le Gouvernement. Une institutionnalisation n’étant toujours pas une priorité chez la BCT ni le Gouvernement. Les réactions vont alors dans tous les sens : inflation non-monétaire importée, secteur parallèle, facteurs structurels, fiscalité, ajustement des prix,… La BCT, ni le Gouvernement d’ailleurs, n’a pas publié la part de chacune de ces sources d’inflation pour adopter les mesures coordonnées et adéquates ; des parts pouvant être obtenues par les techniques standard. T-H : Et le Gouvernement dans tout ça ! A.C : Le Gouvernement, pour la première fois depuis 8 ans, n’a curieusement pas publié le projet de la LF, si ce n’est des chiffres éparpillés et des documents fuités, à quelques jours de sa soumission au parlement, confisquant ainsi le droit à l’information et dopant les éventuelles contributions des experts indépendants et de la société civile, ce qui ne serait pas la meilleure configuration d’une gestion participative des affaires publiques. Aussi, à la veille des élections de 2019, il va décliner quelques engagements avec le FMI, puisque selon les documents fuités il y aura un accroissement de la part des salaires dans le PIB prévu par l’accord avec l’UGTT, ainsi qu’un élargissement de la taille du budget occasionnant un saut de l’endettement extérieur qui s’élèvera à plus de 11 MDT, mais demeurera hypothéqué par des hypothèses peu réalistes sur le taux de change, le prix du pétrole et la croissance économique.

« Pour la première fois depuis 8 ans, le Gouvernement n’a curieusement pas publié le projet de la LF »

Les modelés des cycles politico-économiques dus au Nobel d’Economie cette année, W. Nordhaus, en donnent des explications détaillées, articulées autour de l’objectif d’être reconduit dans le pouvoir via des mesures d’élargissement budgétaire. Ceci reportera les difficultés de négociation avec le FMI sur les tranches futures du prêt, mais aussi les difficultés de gestion de la finance publique durant le mandat électoral suivant. Enfin, aussi bien le Gouvernement que la BCT devraient élargir leurs perspectives de la macro-économie tunisienne aux sources de fragilités multiples, en adoptant des stratégies plus complètes et intégrées, enveloppant les mesures accompagnant le prêt-FMI avec plus de savoir-faire, de capacité institutionnelle et de force de propositions. Le passage au ciblage explicite de l’inflation et/ou du taux de change et l’adoption de Règles plutôt que la Discrétion pourraient être des préoccupations structurelles de la BCT définissant mieux son champ d’exercice et lui faisant gagner en efficacité dans la conduite de la politique monétaire et de change. De son côté, le Gouvernement devrait aller aussitôt vers les stratégies de développement inclusif pour récupérer le temps jusqu’alors perdu dans les frictions politiques et les tensions sociales qui coûtent cher à la collectivité.

Propos recueillis par Chahir CHAKROUN Tunis-Hebdo du 15/10/2018




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