Tunisie, quelles perspectives ?

Tunisie, quelles perspectives ?
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Tunis Hebdo | C’est aujourd’hui que les membres de la nouvelle équipe gouvernementale prendront possession de leurs départements après avoir assuré la passation avec les anciens locataires et qu’ils plongeront, sans doute aucun, dans les dossiers les plus brûlants afin d’essayer de leur trouver des solutions urgentes dans un laps de temps relativement court. Car, et il faut le dire de suite, ce neuvième gouvernement de l’après 2011 ne bénéficiera pas des privilèges des gouvernements qui les ont précédés. Ces derniers, notamment les gouvernements de la Troïka, avaient eu les coudées franches en se prévalant d’une prétendue légitimité gérant le pays de manière anarchique, puis celui de Mehdi Jomaa a conduit les affaires courantes n’osant guère mettre les jalons d’une relance ou d’une reprise, alors que celui de Habib Essid a obtenu les cent jours de grâce avant de sombrer corps et âme comme on a pu le constater avec effarement en écoutant le discours de Youssef Chahed lorsqu’il a évoqué la situation actuelle du pays. Autrement dit, le gouvernement dit d’union nationale et Youssef Chahed n’auront pas beaucoup de temps pour tenter de trouver les premières réponses notamment celles nécessaires aux grands équilibres financiers de l’Etat. Il faut dire que Habib Essid et ceux qui veillaient sur la gestion des affaires économiques et des finances publiques ont lamentablement échoué tout en camouflant la vérité. Dans son discours d’adieu, ce dernier affirmait que la situation était difficile mais pas catastrophique, alors que Youssef Chahed nous annonce une aggravation du déficit public de près de trois mille milliards supplémentaires… Qui a tort ? Et qui a raison ? Qui doit-on croire ? L’ancien qui défendait son bilan, ou le nouveau qui voulait dire la vérité aux Tunisiens ? Indépendamment de la réponse à ces questions, il convient de reconnaître que l’état des finances publiques notamment, et les clignotants économiques et financiers sont pratiquement au rouge. En se basant sur ce constat, le nouveau Chef du gouvernement aurait dû aussi dire toute la vérité en désignant ceux qui ont amené le pays à cette mauvaise passe, mais il n’a pu le faire dans la mesure où il risquait de mettre en péril cette union nationale d’apparat. Il n’a esquissé, également, aucune solution se contentant de quelques « slogans » puisés dans le fameux pacte de Carthage. S’il a lancé un appel aux Tunisiens afin qu’ils se mobilisent pour leur pays, il a aussi affirmé que son gouvernement ne lésinera pas sur les moyens pour résoudre un certain nombre de problèmes, un ton qui n’a pas plu à certaines tendances au sein du parlement tout en affirmant qu’il privilégie le dialogue surtout pour surmonter les problèmes récurrents du bassin minier. Sur ce plan, on peut reprocher à Youssef Chahed de n’avoir pas été encore plus clair en disant par exemple que la Tunisie et son peuple ne peuvent être les otages d’une infime minorité agissante par le blocage ou la paralysie des activités économiques ou même par la grève. A ce niveau, il convient d’apporter quelques précisions. Elles se rapportent aux libertés publiques des citoyens y compris la grève. Cette dernière est, certes, un droit consacré par la Constitution et que les travailleurs, que ce soit dans le secteur public que dans le secteur privé, ont le droit d’exprimer leurs revendications y compris par le recours à la grève. Mais, celle-ci n’est pas un droit absolu et inconditionné. Il obéit à des normes nettes que toutes les parties sont appelées à respecter. On peut aussi dire que Youssef Chahed n’a pas été explicite sur les moyens dont il compte user pour dépasser ou surmonter la crise actuelle. Il a simplement mis en garde que si des efforts ne sont pas consentis et si l’on n’arrive pas à remettre le pays sur les rails et à le relancer, on aura « droit » à une politique d’austérité. Celle-ci, appelée aussi politique de rigueur, se traduit par un ensemble de mesures draconiennes visant « l’assainissement » de la gestion afin de résorber le déficit public et réduire l’endettement du pays. Elle se traduira par une réduction, voire des coupes dans les dépenses publiques essentiellement les dépenses sociales, ainsi que par la réduction ou le gel des dépenses salariales, la restriction des crédits et l’augmentation de la pression fiscale. Or une politique d’austérité peut avoir des effets pervers sur le double plan social et économique. La pression fiscale par exemple est déjà très lourde en Tunisie, parmi les plus lourdes dans le monde, alors que le véritable problème de la fiscalité est ailleurs, dans la collecte des impôts, dans la lutte contre l’évasion fiscale, dans la consécration de la justice fiscale ; alors que ceux qui la subiront le plus, ce sont tout simplement les classes les plus démunies, les sans-travail et les salariés. En outre, ce flou concernant les décisions concrètes laisse craindre non seulement des mesures antipopulaires mais surtout allant contre l’intérêt du pays et des générations futures. Car les politiques ultra-libérales imposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International risquent de transformer ce gouvernement en liquidateur des biens publics. La politique de privatisation, tous azimuts, ne fera qu’appauvrir le pays et transformer le peuple tunisien en esclave du capital international, n’ayant plus aucune emprise sur ses propres ressources alors que la Constitution lui en a attribué la propriété. Autrement dit, les perspectives, si elles évoluent dans cette direction, ne pourraient qu’assombrir le paysage social, économique et politique. Même ceux qui ont soutenu et voté pour Youssef Chahed, et fidèles à leur discours populiste, seront les premiers à le « descendre ». Car, la crise de la Tunisie est, depuis 2011, essentiellement politique qui s’est aggravée avec la détérioration du climat économique et social. Le pays n’est plus gouverné par un seul centre de pouvoir, La Kasbah et Carthage, mais par plusieurs autres forces politiques, économiques et religieuses, apparentes ou occultes, qui nuisent à la cohésion de l’ensemble. C’est dans cet esprit que Youssef Chahed et son équipe doivent batailler quotidiennement afin que la réalité du pouvoir leur appartienne tout en se dotant d’un programme populaire et de relance, plutôt que d’austérité, qui pourrait de nouveau insuffler de l’ambition à un peuple devenu apathique et fataliste…

L.L.




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