La Tunisie perdrait sa bataille contre le terrorisme, si...

La Tunisie perdrait sa bataille contre le terrorisme, si...
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La Tunisie est en guerre contre le terrorisme. Si les unités spéciales des forces de sécurité, notamment les brigades antiterroristes, ne s’accordent aucun répit pour traquer les terroristes ; si les services de la sûreté nationale sont tous mobilisés pour collecter les moindres informations sur d’éventuels foyers terroristes, c’est la sécurité au quotidien des citoyens qui devrait être de mise. Et l’on désigne précisément par sécurité au quotidien, la gestion courante de la surveillance, du contrôle et de la prévention de tous les actes de nature à troubler l’ordre public ou à faciliter la tâche à des kamikazes ou des tireurs potentiels. Ce qui est certain, c’est qu’une organisation comme Daech étudie bien le système sécuritaire en place dans les villes cibles. Elle doit connaître parfaitement les effectifs des agents de l’ordre, leurs mouvements, leur mode d’action. Elle repère les systèmes de surveillance (dont les caméras) et les indics potentiels. Et en fonction de toutes les informations collectées, elle choisit ses cibles, adopte un mode opératoire et désigne celui ou ceux qui perpétreront l’attentat.
Les terroristes ne craignent pas les systèmes sécuritaires infiltrés
Evidemment, les cerveaux de l’organisation trouvent davantage de facilité dans les pays où ils bénéficient de complicité au sein du pouvoir, de la classe politique ou parmi la population. Et plus cette complicité est robuste, plus Daech est confortée dans ses plans et opère avec une « aisance » quasi-arrogante voire un mépris du système sécuritaire du pays en question. Malheureusement pour les va-t-en-guerre, il y a un facteur primordial qui, à lui seul, peut garantir des résultats dans une lutte antiterroriste : le pouvoir doit savoir jusqu’à quel niveau ses sécuritaires, qu’ils soient militaires, gardes nationaux ou policiers sont infiltrés ou acquis à la cause de certaines forces obscures. Il y a des « infiltrés » dans toutes les polices du monde, c’est certain, mais c’est de leur nombre, de leur marge d’action et de la méfiance qu’ils développent que dépend l’efficacité d’un système sécuritaire. En d’autres termes, il y a une différence entre un ver qui hiberne dans un fruit, sans réellement le grignoter et un autre qui a déjà happé tout l’intérieur du fruit. La Tunisie est, précisément dans ce cas, ne mâchons pas nos mots. Et cela encourage naturellement les terroristes à aller de l’avant et à inventer, chaque fois, un nouveau stratagème qui ne fera que compliquer davantage la tâche des sécuritaires impliqués dans la lutte antiterroriste.
Etre plus fiable, moins vulnérable et surtout craint
Que l’on ne se fasse pas d’illusion, tant que l’on n’aura pas, pour de bon, expurgé notre système sécuritaire de tous ceux qui, dans l’ombre, contribuent à faire avancer le ver dans le fruit, on ne gagnera pas une guerre contre le terrorisme. Le gouvernement est-il en mesure de le faire ? Peut-il agir de manière à rendre le système sécuritaire, encore plus fiable, moins vulnérable, moins transparent pour les terroristes et surtout craint, afin que les planificateurs des attentats ne prennent plus à la légère les opérations qu’ils comptent mener et réfléchissent dix fois avant d’agir.
La sécurité au quotidien, c’est la vraie guerre contre le terrorisme
Le second facteur a, justement trait à la sécurité au quotidien que nous avions évoqué au début. Comment veut-on dissuader des terroristes à commettre des attentats quand la sécurité à l’intérieur des villes sent l’improvisation, la défaillance ou carrément la désorganisation ? Au premier degré : comment peut-on prévenir un attentat, quand tout au long de l’avenue Mohamed V, qui avait normalement des agents de la circulation à chaque carrefour, presque plus de policiers n’assurent le trafic et si on en rencontre, c’est souvent embusqué derrière les troncs de palmier pour coincer un conducteur distrait ayant grillé un feu rouge ? Comment peut-on prévenir un attentat dans une ville où les automobilistes font ce qu’ils veulent, où la gabegie la plus indescriptible est de mise et où l’on stationne partout et dans toutes les positions ? Comment peut-on prévenir un attentat dans une ville où des poids lourds, interdits de circulation à des horaires précis, accèdent même à l’avenue Habib Bourguiba, si ce n’est qu’ils s’y arrêtent, sans être inquiétés ? Comment peut-on prévenir le terrorisme dans une ville où il y a plus de marchands ambulants que de piétons, quand on sait que cela peut énormément aider les terroristes dans leurs déplacements et également à tenter des opérations dans des lieux à grande densité citoyenne ? Comment prévenir le terrorisme, quand, en plein jour, dans des stations de bus, des gens se font braquer au su et au vu de tout le monde ? Comment prévenir le terrorisme, quand des postes de polices, tels des commerces, ferment rideau dès 19 heures et que le citoyen est livré à lui-même ? Comment rendre confiance au citoyen, quand il a encore peur de se faire maltraiter dans un poste de police pour un bulletin numéro 3 ou un passeport qu’il ne pourra jamais obtenir à cause d’un préposé hargneux et violent ? Comment mettre le citoyen à contribution dans la lutte antiterroriste quand ses appels à police secours restent vains, quand il sait que tout peut lui arriver sans que personne ne lui vienne en aide ? Comment veut-on que les terroristes se méfient dans un pays où il n’y a quasiment plus de vraies rondes de police (celles qui veillent à la sécurité du citoyen, non celles qui le terrorisent) ? Il y a des avenues au cœur même de Tunis où on a l’impression, dès la tombée de la nuit d’être dans une cité fantôme : vous n’avez qu’à voir l’avenue de Carthage, l’avenue Habib Thameur ou l’Avenue de la République. Comment peut-on empêcher les terroristes de recruter et de « formater » de jeunes désœuvrés, issus de familles miséreuses, jusqu’à en faire des kamikazes ? Ne sont-ils pas plus victimes d’une vraie mise en quarantaine de la part du pouvoir politique que des desseins hégémoniques des extrémistes religieux ? Enfin, comment peut-on lutter contre le terrorisme quand certains agents ou fonctionnaires du ministère de l’Intérieur se font « blanchir la paume » (se font corrompre ou acculent les citoyens à les corrompre) ? A-t-on idée de l’ampleur du « dégât » qu’un pot-de-vin peut occasionner : du stockage d’armes à l’implication pure et simple dans des actes terroristes, en passant par le fournissement de planques, de fausses identités, de puces téléphoniques aux membres d’organisations djihadistes ? En résumé, la lutte antiterroriste passe inévitablement par la sécurité du citoyen au quotidien, il n’y a aucun autre chemin. Un système sécuritaire à deux vitesses avec des unités spéciales qui se battent, d’ailleurs, avec beaucoup de courage contre le terrorisme, d’un côté, et une gestion piteuse de la sécurité au quotidien, de l’autre, ça ne nous mènera nulle part si ce n’est à rendre insignifiants les efforts, souvent surhumains, des brigades antiterroristes et à les exposer davantage au danger et à en faire des martyrs potentiels.
En temps normal, on aurait eu un « plan Vigipirate », à l’instar de la France
Normalement, pour un pays qui n’en est pas à sa première catastrophe terroriste, les choses auraient dû se passer autrement. Or, aussi marrant que cela puisse paraître, au lendemain de l’attentat ayant visé le bus de la garde présidentielle, on en était encore à pourchasser les vendeurs à la sauvette, à la Place Mongi Bali. C’est burlesque ! Normalement, on aurait dû, depuis belle lurette se doter d’un « plan Vigipirate » à l’instar de celui de la France, même si l’on ne bénéficie pas de la même logistique. Il y a un début à tout, il suffit de s’y mettre, le reste viendra. Le plan Vigipirate, tel qu’il est défini, « est un dispositif permanent de vigilance, de prévention et de protection, qui associe tous les acteurs du pays : l’Etat, les collectivités territoriales, les opérateurs susceptibles de concourir à la protection et à la vigilance, les citoyens. Le plan Vigipirate est rendu nécessaire par l’évolution de la menace terroriste, qui se maintient durablement à un niveau élevé.» En France, depuis 2014 deux niveaux d’alerte sont en vigueur, le premier consiste en des mesures d’inspection-filtrage, un contrôle des accès aux bâtiments officiels, une surveillance dans les transports, une sécurisation des systèmes d’information et un respect des normes de sécurité dans le domaine sanitaire. Le second niveau consiste en une mise en alerte des unités d’intervention et des services spécialisés, une activation des cellules de crise, un renfort des contrôles et de la surveillance dans ou aux abords des sites sensibles, des restrictions ciblées de la circulation ou du stationnement. Est-ce impossible à reproduire dans nos contrées ? Ne peut-on pas intensifier les patrouilles mobiles de militaires, policiers et agents 24 heures sur 24 heures dans le grand Tunis ? Ne peut-on pas déployer des patrouille associant un militaire, un policier et un agent, souvent accompagnés d’un chien renifleur d’explosifs, dans les stations de métros, les gares ferroviaires, les gares routières, les musées, les places publiques très fréquentées ? Ne peut-on pas limiter le trafic des camions à des horaires précis et leur interdire l’accès au centre ville ? Ne peut-on pas intensifier les contrôles d’identité dans les zones d’accès à la capitale ? Ne peut-on pas associer les commerçants et autres propriétaires de cafés restaurants, déjà équipés de caméras, à cette action de vigilance ? Ne peut-on pas installer davantage de caméras dans les avenues et les rues de la capitale, et constituer des équipes de surveillance qui se chargeraient de suivre en temps réel se qui se passe dans nos rues ? Ne peut-on pas assurer une présence policière plus remarquée en période nocturne ? Ne peut-on pas contrôler tous les bâtiments et les maisons en ruines ou abandonnés qui servent de planque à des individus louches ? Ne peut-on pas « réhabiliter » les « auxiliaires » de police ? Ne peut-on pas faire des campagnes de sensibilisation plus sérieuses et plus crédibles pour inciter les citoyens à participer à l’effort national de lutte contre le terrorisme. Mais tout cela paraît hors de portée. A-t-on des chances de soutenir une guerre contre le terrorisme ? Ce qui est sûr, c’est que plus nous retarderons la mise en place d’une stratégie sérieuse, plus les terroristes se restructureront et s’implanteront jusqu’à faire partie de la société même. Et pour que ne puissions mettre une stratégie, il faudrait un effort de développement qui extirperait les jeunes des cités populeuses des griffes des djihadistes. Il faudrait assainir le système sécuritaire des éléments obscurantistes et des éléments qui collaborent avec les terroristes. Il faudrait rétablir la confiance chez le citoyen en gérant sa sécurité au quotidien, afin qu’il puisse se consacrer pleinement à la tâche qui lui revient dans la société. Mais tout cela paraît bien loin de nous. On est tenté de dire la même chose que le professeur Kaïs Saïd, quitte à le paraphraser : « un terrorisme qui vainc l’Etat, est un terrorisme d’Etat ».

A.B.




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