Le cinéma comme outil de défense des droits des femmes

Le cinéma comme outil de défense des droits des femmes
Culture
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A l’ occasion de la Journée Internationale des femmes, le Festival du Film de Sharm El Sheikh (Egypte) a organisé lors de sa deuxième édition, qui s’est tenue du 3 au 10 Mars 2018, une table ronde ayant pour thème La femme et le cinéma.

Ont participé à cette table ronde Mme Houda Badrane, secrétaire générale de l'Union générale de la femme arabe, Mme Nagwa Farag, ancienne membre de l’UNICEF Egypt, Mme Magda Maurice, critique de cinéma et Mme Lobna Ridha, Présidente de l’Association des Femmes du Caire (Women Association of Cairo).

Mme Houda Badrane, première à prendre la parole, a présenté un bref historique du combat de la femme pour ses droits et les origines de cette journée internationale des femmes. Elle a également rappelé quelques dates importantes du combat des femmes égyptiennes qui luttent depuis les années 1920 mais qui jusqu’aujourd’hui n’ont toujours pas réussi à avoir tous leurs droits, l’inégalité des sexes étant trop ancrée dans la mentalité égyptienne.

Mme Houda Badrane a également expliqué que le lien entre la cause de la femme et l’Art, que cela soit cinéma, théâtre ou musique, a une très grande importance parce que l’Art contribue à développer le goût et surtout à développer l’éveil.

« Donne-moi du pain et un théâtre, je te donne un peuple instruit ». Pour Mme Badrane, ce dicton s’applique également au cinéma.

D’après elle, le cinéma n’a plus seulement un rôle de divertissement mais a également un rôle politique et social. Il permet en effet de faire parvenir un point de vue, un message moral, et surtout permet d’éduquer la société. Pour cette raison, le cinéma est devenu une condition de progrès des civilisations.

Le cinéma peut présenter certains concepts, les expliquer, interagir avec les spectateurs intellectuellement et émotionnellement et leur faire prendre conscience des causes et des problèmes. Parfois il casse des tabous, ou présente des causes que la société essaye d’ignorer, et d’autres fois il traite de problèmes avant même qu’ils n’apparaissent dans la société.

Lorsque le cinéma présente des causes importantes comme celle de la femme, il touche la vie de toute la société. Il permet à chaque spectateur de vivre le problème soulevé par le film, de sentir ce problème émotionnellement et le pousse à réfléchir et à participer aux solutions. C’est ainsi que le cinéma devient un outil de changement de la société.

 

Faten Hamama dans le film Faten Hamama dans le film "Le péché"

 

Pour Mme Nagwa Farag, le cinéma est aussi un outil utilisé par les ONG qui souvent produisent des courts métrages éducatifs, qu’ils soient documentaires ou de fictions, dans le but de faire connaitre les causes et sensibiliser les gens. Parfois, ces films posent juste les problèmes sans proposer de solutions, parfois ils présentent des réussites à donner en exemple.

Il y a d’ailleurs eu plusieurs histoires de réussites dans le domaine du développement économique des femmes dans plusieurs villages, de la lutte contre la violence à l’encontre des femmes, contre l’excision… Ces réussites sont filmées. Dans ces films, il faut mettre l’accent sur l’événement qui a déclenché la réussite. Par exemple, quel a été l’événement qui a fait que telle épouse ou tel époux ou tel père ait changé ? Tel père qui était contre l’émancipation d’une fille et qui change ensuite…

Ces courts métrages que les ONG essayent de diffuser un peu partout ont bien plus d’effets que les films savants qui sont projetés lors de divers séminaires et qui finalement ne servent à rien.

Mme Nagwa Farag a donné trois conseils essentiels pour que ces courts métrages produits par les ONG soient efficaces.

Premier conseil : Plus on passe de temps à discuter entre cinéastes et activistes, plus il y a de chances que le film atteigne son but. Il faut discuter de tout, les moindres détails de scénarios, de réalisation, de dialogues…

En effet, généralement les personnes qui militent dans ces ONG ne sont pas des professionnelles du cinéma et en interférant dans le travail du cinéaste, elles peuvent gâcher le film parce qu’elles n’ont aucune expérience de réalisation et ne connaissent pas les différentes manières de communiquer grâce à un film.

Par ailleurs le cinéaste doit aussi comprendre exactement ce que veut le militant. Il doit prendre le temps nécessaire pour poser les questions qu’il faut pour bien saisir le message à faire passer. Il faut donc une étroite collaboration entre le militant et le cinéaste.

Deuxième conseil : Pour traiter un sujet concernant les femmes, il n’est pas obligatoire de choisir un sujet difficile à comprendre ou à résoudre. On peut trouver des moyens faciles qui peuvent faire parvenir le message.

Mme Farag a ainsi cité l’exemple d’une expérience réussie et qui a été filmée.

Cela s’était passé en Haute Egypte, région très conservatrice. On avait remarqué que les filles arrivaient très en retard à l’école et parfois même s’absentaient. Elles habitaient loin et devaient faire le chemin à pieds. Les garçons arrivaient à l’heure parce qu’ils pouvaient prendre les tuc tuc, mais pas les filles à qui on interdisait ce moyen de transport de peur qu’elles soient harcelées. L’idée a été de permettre à ces filles d’aller à l’école en vélo. Or, les filles n’avaient pas le droit de conduire des vélos.

Une première bicyclette avait été mise gratuitement à la disposition des filles, mais aucune n’avait eu le droit de l’utiliser. Plusieurs moyens avaient été mis en place pour convaincre les familles, mais elles refusaient totalement de laisser les filles monter à vélo.

Mais un jour, une fille d’une famille de 5 sœurs a tenu bon et a fini par convaincre son père de la laisser conduire un vélo. Elle a été ensuite suivie par ses 4 sœurs. Et ensuite par d’autres petites filles…. Cette expérience avait été filmée et diffusée et aujourd’hui, en Haute Egypte, il y a plein de petites filles qui vont à l’école en vélo.

Troisième conseil : Il faut respecter les gens qu’on filme. Et souvent aussi on ne doit pas donner de leçons/solutions, mais juste pousser à la réflexion.

 

Madiha Yousry dans le film
Madiha Yousry dans le film "Maître Madiha"

 

Prenant la parole, Mme Magda Maurice, a centré son intervention essentiellement sur une douzaine de femmes qui ont laissé leur empreinte sur le cinéma égyptien.

Certaines, telles Aziza Amir, Bahiga Hafez, Fatma Roshdy, Amina Mohamed, Mary Queeny et Assia Dagher avaient mis pratiquement tout leur argent dans la production de films. Ces femmes qui au début du cinéma égyptien ont eu le courage de croire en cet art nouveau, ont été précurseurs et ont laissé leurs marques dans cet art.

D’autres ont essayé d’utiliser le cinéma pour faire avancer les droits des femmes. On peut citer Madiha Yosry qui a produit des films pour changer le genre de rôles qui lui étaient proposés : plutôt que d’être toujours une femme objet et soumise, elle a pu ainsi jouer des rôles de femmes actives. Le premier film qu’elle avait produit avait été Maître Madiha (El avocato Madiha - 1950) dans lequel elle avait incarné une avocate qui, à cette époque-là, avait pu réclamer et obtenir ses droits et ceux de ces clients. Ou Magda Sabahi qui, dans les films Où est ma vie ? (Ayna omri ? - 1957) et Les adolescentes (Almurahikat - 1960) avait défendu le droit des filles à choisir leurs conjoints, à ne pas être obligées d’accepter un homme qu’on leur impose et à prendre leurs vies en main, et dans le film Djamila l'Algérienne (Djamilah - 1958) avait joué le rôle de la militante algérienne Djamila Bouhired… Les films de Magda ont opéré un vrai changement dans la façon de voir la fille et la femme égyptienne.

 

Magda Sabahi incarnant le rôle de Djamila Bouhired
Magda Sabahi incarnant le rôle de Djamila Bouhired

 

Ont également été citées Magda Khatib dont le magnifique film Le visiteur de l’aube (Zaier el-fager - 1975) qui traite de la liberté d’expression avait été interdit, Tahya Carioca qui était une grande militante et qui a été parmi ceux qui ont lutté pour le statut des professionnels du cinéma. Ou encore de nos jours, Elhem Chahine qui a produit en 2016, Un jour pour les femmes (Yom lel-Sittat), un film qui partant d’une idée très simple - les femmes ont droit à la piscine du quartier un jour par semaine - montre à quel point la réalité est difficile et leur combat loin d’être gagné. Ce genre de films fait réfléchir.

 

Affiche du film
Affiche du film "Un jour pour les femmes"

 

En plus de toutes ces femmes, il y a dans le cinéma égyptien des cinéastes hommes, courageux, qui ont défendu la cause féministe, comme Salah Abou Seif dans son inoubliable film Mort parmi les vivants (Bidaya wa nihaya - 1960), ou Youssef Chahine dans Le fils du Nil (Ibn al-Nil - 1951) et La terre (Al-Ard - 1970), ou Henry Barakat dans plusieurs de ses films et en particulier dans Le Péché (El-Haram - 1965) qui traite des problèmes des femmes rurales, qui se réveillent à l’aube pour aller travailler dans les champs dans des conditions très difficiles ou Mohamed Khan avec Les filles du centre ville (Banat west albalad - 2005) ou son avant dernier film La fille de l’usine (Fataat El Masnaa  - 2014) qui traite des problèmes des ouvrières dans les usines.

Mme Magda Maurice a également cité les scénaristes égyptiennes qui ont eu le courage d’aborder des sujets tabous, comme Ines Lotfi qui dans le film Recherche un homme (Bashtery Ragel - 2017) parle de ces femmes qui ne veulent pas se marier et qui pourtant souhaiteraient avoir des enfants et Samaa Ahmed Abdel Khaleq qui dans le feuilleton Halawat Al-Donia (2017) raconte la lutte d’une jeune femme atteinte du cancer.

Bien que les femmes tiennent aujourd’hui une grande place dans le cinéma égyptien, elles ne sont malheureusement pas suffisamment mises en valeur. Constatant cela, Mme Magda soumet une idée : pourquoi est-ce que toutes les associations féministes ne participeraient pas à la production de films qui défendraient les droits des femmes ?

En effet, ce sont toujours les œuvres artistiques qui font le plus bouger les choses. Quoi qu’on parle, quoiqu’on organise des séminaires et conférences diverses, cela n’atteint qu’un nombre restreint de personnes, alors qu’avec un film on peut atteindre des millions de personnes et c’est un excellent moyen de défense des causes féministes.

 

Affiche du feuilleton
Affiche du feuilleton "Halawat Al-Donia"

 

La dernière intervenante, Mme Lobna Ridha, a surtout insisté sur l’importance du bénévolat et a prié les jeunes de trouver un moyen d’être bénévoles et de participer à la lutte pour les droits des femmes.

Elle a également insisté sur le rôle de l’éducation et le rôle de l’Art dans la transmission du message qui permet justement d’instruire. L’Art atteint d’abord les émotions et ensuite les cerveaux. Et c’est plus important que de ne s’adresser qu’aux cerveaux.

Elle a également insisté sur l’importance de la mère et de l’enseignante qui sont celles qui transmettent la culture. C’est à elles de savoir ce qu’elles doivent transmettre aux nouvelles générations et d’éduquer les garçons et les filles de la même façon. Il est temps par exemple que la mère ne demande plus à la sœur de préparer le déjeuner de son frère.

Pour M.Gamal Zayda, président du festival, les causes des femmes sont devenues très importantes. Il a déploré que souvent la TV et le cinéma égyptiens présentent une image négative de la femme, et parfois même encouragent la violence physique et les agressions verbales contre elle en les banalisant. Il va falloir faire face à cela et attirer l’attention des scénaristes sur ce problème et sur leur responsabilité envers la société.

M.Zayda approuve la proposition de Mme Magda Maurice et propose à cet effet d’organiser des séances de travail avec les scénaristes pour les sensibiliser sur le sujet et leur demander de faire attention.

Il n’est pas question de toucher à la liberté d’expression, mais il faut tenir compte du fait qu’une grande partie du peuple égyptien est analphabète et qu’au lieu d’aider à propager la misogynie et la violence, il faudrait essayer de trouver un moyen d’éduquer la population et que le cinéma serve à améliorer la condition de la femme égyptienne. Il faudrait, par exemple, faire prendre conscience d’un phénomène qui existe actuellement dans certaines régions égyptiennes : les hommes passent leur temps au café ou à fumer des joints alors que les femmes travaillent dur, dans des conditions difficiles, pour subvenir aux besoins de la famille.

Mme Hala Adel El-Hamalawy, modératrice, a rappelé que dans l’Egypte ancienne, la femme jouissait de ses droits : elle recevait la même éducation que les hommes, exerçait les mêmes fonctions et avait la même importance…. Deux femmes avaient même été d’illustres pharaonnes : Hatshepsout et Cléopâtre. Hélas, aujourd’hui les droits des femmes ont pris bien du recul.

Mme Hala a rappelé que parmi les pays arabes, la Tunisie est pionnière dans le domaine des droits des femmes. A sa demande, j’ai présenté le film tunisien La belle et la meute (2017) réalisé par la talentueuse Kaouther Ben Hania. Ce film est inspiré de l’histoire vraie de la jeune Mariem qui, violée par des policiers, a osé porter plainte contre eux et les faire condamner, malgré toutes les embûches dressées devant elle. Ce film montre qu’il faut défendre ses droits et que lorsque l'on tient bon, on fini par gagner.

 

Affiche La belle et le meute
Affiche du film "La belle et la meute"

 

De nos jours, le cinéma n’a plus seulement pour rôle de divertir, il doit également éduquer, instruire et pousser à réfléchir. Parfois les gens ne voient pas vraiment tous les aspects d'une cause. En restant dans l’actualité tunisienne, pourquoi est-ce qu’un(e) cinéaste ne réaliserait pas un film traitant de l’égalité successorale ? Certains s’imaginent qu’il s’agit d’un sujet qui ne concerne qu’une minorité de familles aisées or, au contraire, cela concerne surtout les classes défavorisées. Permettre aux femmes d’hériter, c’est leur permettre d’accéder à la propriété, d’obtenir des crédits, de monter des petits projets pour nourrir leurs familles… et même dans certains cas extrêmes, cela permet à certaines femmes de ne pas se retrouver à la rue lors du décès de leurs parents. Nos cinéastes devraient en parler...

Neïla Driss

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