Après le 14 janvier, la question de la réconciliation n’a jamais vraiment fait l’objet d’une résolution. Elle a été souvent minée par des polémiques entre partisans de solutions « pacifistes » et partisans de solutions radicales qui utilisent des slogans populistes afin de tenter de mobiliser « le bon peuple » pour faire avorter toute initiative allant dans ce sens.
Même la mise en place de l’Instance Vérité et Dignité, chargée de diriger les « opérations » relatives à la réalisation de la Justice Transitionnelle, n’a pas été aussi simple et on se rappelle la lenteur de sa création, les tiraillements qui se produisirent autour de sa Présidente, etc.
Autrement dit, les différents acteurs de la scène politique ne sont pas unanimes sur la manière d’aborder et de réaliser la Justice Transitionnelle dans notre pays, ce qui provoque actuellement une nouvelle polémique après le projet de loi présenté par la Présidence de la République et examiné par le Conseil des ministres avant d’être présenté à l’Assemblée des représentants du Peuple dans les prochains jours.
On se rappelle que le Président de la République avait appelé de ses vœux cette réconciliation dans son discours du 20 mars qui faisait suite à l’attentat du Bardo, et souhaitant qu’il puisse constituer un des jalons de l’Unité Nationale, et pouvant servir de levier à la relance de l’activité économique.
Déjà, à ce moment-là, certains partis politiques ainsi que l’IVD avaient proclamé leur opposition, les premiers parce qu’ils ne partageaient pas la démarche du Chef de l’Etat, l’autre parce qu’elle considère que cela constitue un empiétement sur les compétences qui lui furent attribuées par la loi.
Le projet de loi tel qu’il a été présenté et examiné en conseil des ministres mérite que l’on se penche dessus pour essayer d’en saisir toute la philosophie et la portée.
Il faut commencer par dire, tout d’abord, qu’il semble avoir été soumis aux partis formant la majorité au sein de l’ARP, ce qui signifie qu’il n’aura aucun mal à être adopté même si cela ne plaira pas aux autres partis représentés.
Ensuite, ce projet s’intégrerait selon ses promoteurs dans le cadre de la Justice Transitionnelle. Il ne nie pas celle-ci mais il servirait, au contraire, à la renforcer, un avis qui n’est pas partagé, comme prévu, par l’IVD et sa Présidente qui ont une approche exclusive et tentaculaire de leur champ d’action ou de leur domaine d’intervention.
Celle-ci considère que le texte est contraire à la Constitution pour diverses raisons, ce qui n’est pas évident sachant que le texte constitutionnel prévoit l’engagement de l’Etat à appliquer le système de la Justice transitionnelle, ce qui est le cas à travers ce texte.
Le projet fixe ensuite son propre champ d’application, les catégories de personnes pouvant être soumises à cette loi, les procédures et les mécanismes. L’objectif avoué consiste, en effet, à aboutir à clore de façon définitive les dossiers et à tourner la page du passé afin de réaliser la réconciliation qui reste le but ultime de la justice transitionnelle.
Le domaine d’application se rapporte aux affaires ayant un caractère économique et financier. Autrement dit, l’IVD garde une compétence générale à l’exception justement de ce type d’affaires puisque le projet de loi prend le soin d’amender les dispositions qui lui sont contraires.
Ce projet de loi concerne les fonctionnaires et assimilés qui auraient été liés ou impliqués dans des affaires de malversation se rapportant aux deniers publics sauf les affaires de corruption ou de détournement de fonds. Il concerne aussi toute personne ayant obtenu des avantages indus qui, une fois la conciliation réalisée, verront leurs dossiers clos de façon définitive.
Indépendamment de l’intérêt d’un tel projet de loi, et de son efficacité et des garanties de bon fonctionnement qui ne semblent pas tout à fait assurées en raison de la composition de la commission qui en sera chargée, il est fondamental d’en saisir la double portée sur le plan politique et économique.
Sur le plan politique, il est clair que la réconciliation n’est pas une affaire purement technique et ne peut, en aucune façon, être opérée de manière précipitée, ce qui peut créer des suspicions quant à ses véritables desseins.
La réconciliation est un passage obligé pour repartir sur des bases plus saines et plus transparentes, et instaurer une forme de justice économique afin de limiter du mieux possible à l’avenir les éventuels abus.
Et sur ce plan, il serait heureux que tous les partis politiques participent à l’affinement de ce texte, et non à le rejeter de manière systématique. Les appels de quelques partis au peuple nous semblent, par ailleurs disproportionnés et dangereux dans le contexte actuel traversé par le pays.
Il serait, par conséquent, plus utile de contribuer à améliorer ce projet et à le perfectionner (la composition de la commission, ses attributions, les personnes visées etc.) afin de le rendre compatible avec la volonté populaire qu’ils disent vouloir défendre.
Sur un plan purement économique, il est évident qu’une telle réconciliation pourrait permettre à l’Etat d’engranger des dizaines de milliards qu’il entend verser dans un compte spécial à la caisse des dépôts et de consignation afin de les allouer plus tard au développement des régions défavorisées.
Quoique cet objectif est louable, il conviendrait, d‘un point strictement juridique, de le mettre en conformité avec les grands principes de droit financier. Ensuite, il est nécessaire de faire en sorte que tous ceux qui sollicitent cette transaction, appliquée par ailleurs pour diverses infractions économiques ou financières, fassent l’objet d’une analyse approfondie de sa situation afin que les montants qui seront fixés soient adaptés.
Car, il existe bon nombre d’hommes d’affaires qui ont bénéficié de la complicité, voire du soutien de l’ancien régime pour décupler leurs richesses ; et qui sont appelés aujourd’hui à s’acquitter de leurs dettes envers la patrie.
L.L.