Madame W. Bourguiba (née Ben Ammar, le 22 avril 1912 à Béja) était une femme intelligente et avisée. Selon plus d’un observateur, si Bourguiba n’avait pas eu la stupidité de divorcer le 11 août 1986 et de la faire remplacer par sa propre nièce, l’intrigante Saïda Sassi, il serait resté cramponné au pouvoir et serait mort tranquillement dans son lit au Palais de Carthage, après plus de trente ans de règne sans partage aucun. Pour l’anecdote «Si Lahbib» est né le 1er août 1900 et non le 3 août 1903.
Faisant office de nouvelle «première dame», Saïda s’est alliée au Premier ministre Ben Ali pour faire éjecter son oncle du «trône», quitte à envisager de le faire empoisonner sous prétexte qu’il la battait avec sa canne.
Le 7 novembre à l’aube, Bourguiba s’est rendu compte que les deux destroyers qui surveillaient depuis la mer l’accès au Palais de Carthage manœuvraient étrangement. Il en avertit Saïda. Celle-ci, perfidement, lui rétorqua : «Dors, il n’y a absolument rien ! C’est ton imagination qui te joue de mauvais tours».
Wassila, une tête pensante, a eu une prémonition au sujet de ce qui allait arriver au roi Hassan II avec le général Oufkir, l’inconditionnel aide de camp de son père feu Mohamed V et qui avait pour habitude de veiller en personne, la nuit, devant sa chambre à coucher aussi bien au palais royal que lors de ses déplacements…
C’est ainsi que Wassila avisa par téléphone la mère du roi Hassan II : «Dites à votre fils, le monarque, de prendre ses précautions contre Oufkir. C’est un grand comploteur…» Par contre, Hassen II n’a jamais avisé «Si Lahbib» des turpitudes futures de Ben Ali quand il a été nommé Premier ministre. Le monarque disait de lui : «Celui-là ne quittera plus jamais la place». Subtile allusion à la présidence dont notre fuyard s’est emparée… En effet, c’est ce qui est arrivé.
Pour en revenir à Oufkir, des pilotes de chasse ont tenté de faire abattre l’avion du roi à son retour de l’étranger le 16 août 1972. Il n’a eu la vie sauve que grâce à un véritable exploit de son pilote de ligne attitré, le commandant Kebbaj. Le lendemain, le roi convoqua de bonne heure le comploteur et le fit exécuter de trois balles dans le dos et d’une dans la nuque par le colonel Dlimi et le général Alaoui. Par la suite, il condamna une des deux épouses et les enfants du défunt putschiste à l’exil au fin fond du Sahara où ils passèrent près de quinze ans dans un camp infernal de prisonniers…
Il faut reconnaître que Wassila suivait la politique nationale grâce à ses propres informateurs. Quant à la politique internationale, elle se fiait à la BBC qu’elle écoutait de bonne heure. Par ailleurs, elle faisait et défaisait les ministres et les hauts commis de l’Etat. Elle n’avait pas non plus un faible pour les non-Tunisois d’origine. Je pense qu’elle avait la hantise des Sahéliens. N’empêche qu’elle mettait à la disposition de Ben Ali, alors ambassadeur en Pologne, une voiture à chaque retour au pays pour y passer des vacances. N’était-il pas un expert en renseignements ?
C’est ainsi qu’elle délaissait en particulier Mohamed Sayeh – «historien du raïs», directeur du parti et patron des milices – que Bourguiba considérait comme son fils adoptif et récusait feu Hédi Nouira aussi bien quand il était gouverneur de la Banque Centrale que lorsqu’il a été promu Premier ministre par la suite. Elle mena la vie dure à «Si Hédi» allant même jusqu’à conseiller à une demi-douzaine de ses ministres de lui faire défection. Du reste, c’est à moi, personnellement, qu’ils ont fait état, un dimanche, de leurs démissions afin que je la publie dans Tunis-Hebdo, le lendemain. Ce que j’ai fait en première page, sans crainte de personne et sans informer le Palais de Carthage non plus !
Quand il y a eu, finalement, la réconciliation avec ce groupe de ministres dissidents, «Si Lahbib» leur reprocha d’avoir adressé leurs démissions pour leur publication dans Tunis-Hebdo* «alors que vous auriez dû m’en informer en premier lieu», ajouta-t-il.
Une seule fois, Wassila Bourguiba et Hédi Nouira – l’architecte du bon démarrage de l’économie nationale et à propos duquel le raïs disait «qu’il est plus fort que moi dans la gestion des finances du pays» – se sont alliés pour de bon. C’était contre la fusion de la Tunisie et de la Libye en un seul Etat en 1974 sur instigation du tandem Mohamed Masmoudi et Mouammar Kadhafi. Wassila et Nouira étaient tout à fait contre cette union et ont réussi, finalement, à faire capoter ce projet qui aurait mis à la tête de notre pays l’imprévisible colonel.
L’opposition à l’alliance avec la Libye et son échec ont été facilités, il faut le reconnaître, par l’intervention de Wassila auprès du colonel Boumediene, le poussant à faire pression sur Bourguiba par l’envoi à notre frontière d’importants contingents militaires. Bourguiba a eu peur d’une invasion algérienne quelconque et renonça de suite à la fusion avec Kadhafi. Des proches du pouvoir conseillèrent, alors, à «Si Lahbib» de quitter la Tunisie pour des vacances en Europe et de les laisser faire contre le colonel Kadhafi.
Bouteflika, alors leader au FLN et ministre des A.E., disait à propos de Wassila Bourguiba «qu’elle est le seul homme en Tunisie».
Quant à Tahar Belkhodja, ancien ministre de l’Intérieur, il ne cessait de déclarer à son propos : «Elle était l’antichambre politique du pays. Tous les ministres et collaborateurs du président devaient avoir son consentement pour pouvoir exercer».
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[*] Après avoir feuilleté Tunis-Hebdo, Bourguiba plaçait le journal sur un coin de son bureau. Quand il lui arrivait de recevoir, au Palais de Carthage, un invité de marque étranger désirant aborder la question sur la liberté d’expression, «Si Lahbib» lui tendait, alors, un exemplaire de Tunis-Hebdo tout en l’invitant à le parcourir, question de fustiger de pareils reproches.
Du temps où il était Premier ministre à La Kasbah, notre «Bejbouj» plaçait, lui aussi, Tunis-Hebdo, une fois lu, devant lui. Il est depuis toujours un lecteur assidu de notre hebdomadaire…
M’hamed BEN YOUSSEF
Tunis-Hebdo du 26/11/2018
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