Ramadan ne peut rimer, chez nous, qu’aux «contradictions». La rime n’est pas parfaite, certes, sur le plan de la forme, mais sur le fond, il n’y a vraiment rien à dire, comme je vais vous le démontrer.
En ce mois réservé, en principe, au jeûne nous mangeons trois fois plus qu’en temps ordinaire, pour assouvir la faim de toute une journée.
En ce mois, nous prétendons donner à l’estomac un congé annuel, mais, en fait, nous lui imposons un rythme de travail endiablé entre la rupture du jeûne et le «s’hour».
En ce mois, nous aspirons à une bonne conduite morale, mais souvent, nous dérapons verbalement à cause d’un énervement sans raison et que nous mettons sur le dos de «h’chichet Romdhane».
En ce mois, nous essayons de vivre les vertus de la patience et de la volonté, mais nous n’avons pas la force de combattre le sommeil qui nous prend au bureau, à cause des longues veillées ramadanesques.
En ce mois, nous nous promettons de freiner nos instincts et nos caprices, mais nous nous découvrons en train de courir derrière des tentations de consommations, refoulées pendant des mois.
En ce mois, nous tentons de nous convaincre que le jeûne ne pourra jamais ralentir notre rythme de travail, mais nous acceptons finalement que nous ne sommes pas capables de garder la cadence (déjà au ralenti) observée pendant les mois de «l’iftar».
En ce mois, nous nous apprêtons à vivre, à travers le jeûne et la privation, ce que vivent les pauvres à longueur d’année, mais nous dépensons comme dépensent les riches, et nous jetons dans les poubelles des quantités d’aliments qui pourraient nourrir des familles entières.
Avec chaque Ramadan qui vient, nous aimons parler des vertus du jeûne, mais nous n’alignons jamais nos actes sur nos paroles. Et c’est pour cela que «Ramadan» rime plus ou moins bien avec «contradictions». N’est-ce pas vrai, «hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère», comme disait Baudelaire !
Adel LAHMAR
Tunis-Hebdo du 20/05/2019