Mon trajet quotidien en train m’a permis de découvrir des facettes de la Tunisie qui sont encore intactes, bien entretenues par le temps et sauvegardées par le peuple. Jugez-en :
Sur la ligne ferroviaire de la banlieue sud de Tunis, on peut apercevoir de majestueux déchets qui nous rappellent notre enfance, de véritables madeleines de Proust en décomposition. Une vieille bouteille de lait de marque Laino attend patiemment, entre les stations de Radès Meliane et Radès, qu’une belle âme écolo daigne la ramasser afin qu’elle entretienne l’espoir d’être, un jour, recyclée.
C’est non sans émotion que j’aperçois un authentique maillot du Club Africain, à l’effigie de Adel Sellimi, abandonné près du quai d’Ezzahra. Bien que dans un sale état, le précieux vêtement, datant d’il y a au moins quinze ans, doit valoir une petite fortune. A côté, un tamis en bois, identique à celui de ma grand-mère, se demande ce qu’il peut bien faire là, loin d’un sac de couscous.
Que dire de cette canette de Pepsi décolorée ou de cette affiche publicitaire Esso jonchant les rails à hauteur de Hammam-Lif ? J’avais sept ou huit ans lorsque mes parents m’emmenaient manger un hamburger et boire un petit Pepsi au Mac Doly du Lac Palace.
Mon père s’arrêtait, ensuite, dans une station Esso pour prendre de l’essence et gagner, à l’occasion, un ou deux verres souvenirs poinçonnés de la célèbre marque. C’était bien avant les années 2000…
Inutile d’évoquer les tonnes de déchets plastiques et organiques contemporains, bien partis pour s’incruster indéfiniment sous le tracé ferroviaire.
En guise de conservateur de ce musée des horreurs, la SNCFT nous offre, également, sa contribution. Car au niveau du lycée d’Ezzahra, on remplace les selles de rail rougeâtres sans, pour autant, ramasser les anciennes. Ces dernières blanchissent sur place avec le temps.
Enfin, que serait ce patrimoine des déchets sans les anciens wagons bleu-nuit des années 80 ? Sur le tronçon Tunis-Jebel Jelloud, ces véhicules de jadis sont entassés les uns contre les autres, faisant office de taverne pour quelques infortunés clodo en manque d’éthanol.
En attendant que la rouille les réduise en miettes, tâchons de les admirer une dernière fois tant que leur sifflement chante encore dans nos cœurs. Merci à la SNCFT, aux municipalités et à l’Etat pour ce devoir de mémoire, aussi crasseux soit-il.
Depuis plus de trente ans, ces objets sont les témoins à charge, ou plutôt à « décharge », de l’indifférence générale à l’égard de notre environnement. Mais méritons-nous mieux ? Certainement pas, car la Nature fait bien les choses !
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 27/01/2020