Journée de farniente. En général, cela signifie que je vais surtout lire sans quitter mes pénates. Un peu écrire, aussi, car l’un ne va pas sans l’autre.
J’irai peut-être au marché car en ce moment, le goût des mûres aidant, je guette l’arrivée des figues précoces sur les étals.
J’achèterai aussi un journal parce que cette habitude ne m’a jamais quitté. Juste quelques translations dans le quartier avant de me plonger dans mes livres de chevet et ma part d’imaginaires.
Je remplirai, aussi, une page de journal qui sera presque immobile puisqu’elle ne racontera pas les péripéties d’une journée mais sera plus réflexive.
La semaine prochaine, j’irai à Vienne pour rejoindre plusieurs amis avec lesquels je participe depuis plus d’un an à un projet artistique. Ce projet est mené par Maren Richter et Klaus Schafler et s’intitule « One Belt, Many Roads ». Les participants viennent du Kazakhstan, d’Indonésie, d’Éthiopie, d’Italie et aussi d’Égypte et d’Autriche.
Je présente dans le cadre de ce projet une installation/performance qui porte le nom « The Sicilian Pupett ». Je parlerai plus longuement de ce travail dans lequel je prends le prétexte d’une poupée sicilienne pour poser la question migratoire et quelques épisodes de notre histoire.
Le vernissage de l’exposition qui rassemble tous les fragments de sens créés par une dizaine de créateurs de tous horizons, a eu lieu le 1er juin dernier à Vienne. Ce jour-là, je n’ai pu rejoindre la capitale autrichienne car mon calendrier ne le permettait pas.
Grâce aux réseaux, j’ai pu toutefois assister virtuellement à cette inauguration alors que j’étais à Tunis. Le 1er juin, je devais participer à une rencontre autour de l’archéologie en Tunisie puis accompagner deux amis pour une escapade aux tonalités italiennes dans la médina.
La cathédrale de Vienne
J’avais alors reçu comme un signe, un cadeau que mes amis Tania et Paolo m’avaient fait. Dans une enveloppe bleue, ils avaient glissé un Pinocchio et me l’avaient offert alors que nous étions sur l’avenue Bourguiba, au pied de la statue équestre. Ce jouet allait immédiatement prendre une signification symbolique car, dès le premier regard, je l’avais mis en correspondance avec les poupées siciliennes qui m’occupaient.
La semaine prochaine à Vienne, tous les contributeurs au projet de Maren et Klaus seront réunis pour des activités croisées et pour une plongée dans les univers de chacun. Pour le moment, je continue à observer, prendre des notes et les partager. Et j’attends avec délectation cette viennoiserie artistique.
« La semaine prochaine à Vienne,
tous les contributeurs au projet de Maren et Klaus
seront réunis pour des activités croisées et pour
une plongée dans les univers de chacun »
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J’ai connu Vienne il y a exactement trente ans. C’était en mai 1993, au sortir de la Foire internationale du livre de Tunis, je m’étais rendu en Autriche pour une dizaine de jours.
Ce fut un ravissement de chaque instant, entre les cafés bruns où je m’installais pour écrire, les schnitzel et les bratwürst que je dévorais, le Ring et ses fastes habsbourgeois, Unter den Linden et ses promenades ombragées. De tout mon cœur, je vibrais au cœur de la Mitteleuropa.
J’avais alors eu l’occasion de rencontrer pour la première fois le Danube aux noms si nombreux puisqu’ils changent selon les pays qu’il traverse. Quelques années plus tard, je suis remonté jusqu’aux sources allemandes de ce fleuve à Donaueschingen. Depuis, je rêve d’aller tout à fait en aval, à l’embouchure du Danube, là où il se jette dans les bras de la Mer noire.
Cette première visite à Vienne sera suivie par plusieurs autres et chaque fois, ce furent des découvertes et des rencontres. Je me souviens du Café impérial et de ses pâtisseries. Je me souviens de l’opéra de Vienne et du musée Hundertwasser. Je me souviens de la grande cathédrale qui domine la ville. Je me souviens aussi des grands musées, des artistes et des écrivains visités chez eux.
J’ai précieusement gardé tous mes carnets viennois. J’y avais consigné chaque détail et je m’apprête à de nouvelles pages. Ces carnets contiennent aussi quelques traces autrichiennes que j’ai pu glaner dans les livres d’histoire et au fil de mes médinations tunisoises.
L’une de mes rencontres viennoises était surprenante, inoubliable même. Il y a quelques années, je me suis retrouvé nez à nez avec Hannibal dans un des lieux les plus emblématiques de la monarchie austro-hongroise.
C’était dans les parcs du château de Schönbrunn à l’occasion d’un voyage d’études organisé par le ministère autrichien des Affaires étrangères. Comme c’était en 1993, je ne possédais même pas un appareil photo et il ne reste que peu de traces de ce séjour viennois.
La poupée sicilienne
Toutefois, l’image d’Hannibal statufié dans ce jardin impérial est restée incrustée dans ma mémoire. Elle se trouve dans le grand Parterre du parc parmi trente-deux statues similaires, allégories de grands personnages et de dieux de l’Antiquité.
Représenté en guerrier casqué, portant son armure revêtue d’une fourrure de lion, Hannibal est restitué d’après un modèle antique. Réalisée par Wilhelm Beyer, la statue a été placée dans ce parc aménagé par Hohenberg au cœur du château de Schönbrunn.
J’ai parfois eu d’autres rencontres impromptues avec Hannibal comme au Musée national de Varsovie en Pologne, et elles ont toujours été motivantes au plus haut point. Pour l’anecdote, dans cette allée aux statues, on retrouve aussi celle de Fabius qui, au nom de Rome, avait combattu Hannibal qui, pour mémoire, est mort en Bythinie (en Turquie actuelle) à l’âge de 64 ans.
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J’étais bien parti pour lézarder à la manière d’Henry Miller. Ce dernier expliquait : « Des heures d’affilée, je restais étendu au soleil à ne rien faire, à ne penser à rien. Entretenir le vide dans l’esprit, c’est un exploit, et un exploit rudement salubre. Ne pas dire un mot de toute une journée, ne pas voir de journal, ne pas entendre de radio, ne pas écouter de commérage, s’abandonner absolument, complètement à la paresse, être absolument, complètement indifférent au sort du monde, c’est la plus belle médecine qu’on puisse s’administrer.»
J’étais tout à mes pensées creuses lorsqu’un coup de fil sans fil interrompit la rêverie. Le farniente prit alors la tournure inattendue de libations inextinguibles. Mes deux frères étaient dans les parages et, sans autre choix que la joie, nous nous sommes retrouvés, face à la mer et nos souvenirs.
Plusieurs heures à recomposer nos mémoires. Je pourrais tout raconter dans le détail. Je pourrais aussi dire le goût de chaque mot, chaque rire, chaque histoire. La journée est si vite passée qu’à l’aube, il était minuit.
« Entretenir le vide dans l’esprit,
ne pas dire un mot de toute une journée,
ne pas voir de journal, ne pas entendre de radio,
ne pas écouter de commérage,
s’abandonner complètement à la paresse,
être indifférent au sort du monde,
c’est la plus belle médecine qu’on puisse s’administrer. »