J’ai lu un article fort intéressant sur capital.fr dont l’auteur (William Gerlach) énumère trois raisons qui font que la dédollarisation du monde n’est pas pour demain.
Se détourner du dollar n’est pas une tentative récente. « En juin 1975, écrit Gerlach, deux ans après le choc pétrolier, l’OPEC annonçait couper les liens avec le dollar américain et commencer à coter les prix en droits de tirage spéciaux. Nous savons tous ce qu’il est advenu. »
Il est bon de rappeler que ces tentatives ont toutes échoué. Coter le pétrole en DTS (droits de tirage spéciaux) ou plus simplement en paniers monétaires (dollar-euro-yuan) était bonne dans sa conception, mais l’était moins dans sa réalisation du fait de la non convertibilité totale du yuan.
Même si en 2022, la monnaie chinoise est devenue la cinquième monnaie dans les opérations de change, avec une part de marché de 7 %, reste qu’elle est loin de constituer un étalon de mesure fiable.
William Gerlach écrit qu’ « Un phénomène similaire s’est produit en 2018 lorsque le premier contrat pétrolier a été conclu en yuan chinois. De nombreux spécialistes présentaient cette opération comme une étape vers la dédollarisation du monde. Rien de tout cela n’est survenu. A l’heure actuelle, poursuit l’analyste, 85% des transactions pétrolières sont effectuées en dollars, ainsi que 88% des transactions internationales, selon la Banque des règlements internationaux ».
Pourquoi la dédollarisation restera un vœu pieux ?
A notre avis, l’idée de se détourner du dollar est plus qu’un effet d’annonce ayant pour but de mesurer le pouls des marchés. Si l’Arabie Saoudite, la Malaisie et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont manifesté expressément leur volonté d’en finir avec ce système, c’est qu’ils ne veulent plus dépendre du dollar, volatil à souhait.
Mais cette dédollarisation se manifestera-t-elle de sitôt ? Pour William Gerlach, rien n’est moins sûr. L’auteur énumère trois raisons qui font que la dédollarisation du monde n’est pas pour demain.
Lisons-le : « La première raison concerne la dette publique des États. La majorité de la dette à l’international est labellisée en dollar américain. Pour la rembourser, il faut donc du dollar américain. Cela touche l’ensemble des grandes puissances, y compris la Chine, dont les premiers prêts dans le cadre de la nouvelle route de la soie ont été effectués en dollar ».
Si nous adhérons à la thèse de William Gerlach, nous émettons, cependant, quelques réserves, en rapport surtout avec l’évolution future du dollar. Une dégringolade de la monnaie US mettrait son hégémonie, sur les deux plans commercial et financier, en difficulté et réduirait considérablement son emprise sur les marchés.
La deuxième raison derrière laquelle la dédollarisation ne se manifestera pas de sitôt repose, d’après l’analyste, sur « l’étroite relation entre l’hégémonie militaire des États-Unis et sa puissance monétaire. Plus un pays entretient de liens militaires solides avec Washington, plus sa dépendance au dollar est avérée. C’est ce que démontre une étude de la Fed selon laquelle les trois quarts de la réserve de dollars américains sont détenus par des pays qui ont une forte relation militaire avec les États-Unis ».
Quand bien même perspicace, l’argument avancé par l’auteur de l’article n’est pas sans reproches et rien n’est moins sûr. Personne ne peut prédire l’issue de la guerre russo-ukrainienne et des éventuelles alliances qui se produiraient si jamais la Russie sortira vainqueur. L’écart entre les Etats-Unis et la Russie en matière d’exportations d’armement, actuellement en faveur de l’Oncle Sam, peut se réduire, ce qui affaiblirait la puissance monétaire du dollar.
La troisième raison citée par William Gerlach quant à la difficile transition vers la dédollarisation a trait aux facteurs structurels qui « favorisent un système international basé sur le dollar américain (plutôt que sur le yuan chinois par exemple) ».
D’après lui « Les dollars américains sont facilement convertibles, à l’inverse du yuan. Le billet vert présente une forte liquidité, contrairement au yuan chinois. Le yuan est indexé sur le dollar (même si cela pourrait changer à l’avenir). Enfin, les États-Unis restent le pays le plus puissant sur le plan économique ainsi que le plus grand producteur de pétrole au monde. Tous ces éléments pèsent lorsqu’il s’agit d’établir une monnaie de réserve », conclut l’analyste.
C’est à se demander quel serait l’avenir des monnaies si le troc redevenait la forme d’échange comme par le passé ? Dans ce cas, il n’y aura ni yen, ni dollar, ni dinar. C’est à prendre ou à laisser.
Chahir CHAKROUN