L’annonce par Fitch Ratings du relèvement de la notation par défaut des émetteurs en devises à long terme (IDR) de la Tunisie de CCC à CCC+ a suscité, chez nous, un enthousiasme qui n’a pas lieu d’être…
Nous ne sommes pas dans le dénigrement, encore moins dans la médisance. En matière de notation, nous avons tendance à vite verser dans l’euphorie ou, au contraire, à sombrer dans le doute à chaque fois où une agence nous attribue une note. Nous reproduisons, de plus, mécaniquement, le communiqué qui y est joint, écrit, par ailleurs, dans les mêmes style et tempo que les précédents, et employant toujours les mêmes mots et expressions comme s’il s’agissait d’une vérité avérée et comme si notre avenir en dépendait.
Il faut savoir que les trois agences de notation (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch) ont chacune des critères et une classification qui leur sont propres. Croire à tout ce qui se dit à notre propos est un signe de naïveté manifeste et fait de nous ce mouton de Panurge qui suit instinctivement les autres sans se poser les vraies questions. Ne fallait-il pas provoquer nous-mêmes notre destin et faire ce qu’il faut pour que ça marche au lieu de cultiver l’illusion surtout quand celle-ci est propagée par l’élite ou ce qu’elle croit être ?
Devrions-nous nous en réjouir ?
Ceci dit, l’amélioration, un tantinet, de la note attribuée au risque de crédit de la Tunisie, appelle-t-elle une telle médiatisation et suscite-t-elle un pareil enthousiasme ? La réponse est non, étant donné que CCC+ ne nous sort pas de l’auberge. Cette note traduit toujours un niveau du risque de crédit élevé, et cela influe fortement et inéluctablement sur le niveau du taux d’intérêt proposé à l’Etat emprunteur.
Autrement dit, avec une telle note, il est difficile que la Tunisie intéresse les investisseurs ce qui rend, par conséquent, l’emprunt cher. Sans doute, la CCC+ est un cran meilleur que la CCC, celle-ci suppose des risques extrêmement sérieux d’incidents de paiement (dans le jargon financier on parle d’obligation pourrie). Actuellement, notre obligation n’a pas atteint ce seuil de pourriture tant redouté, mais elle demeure toujours dans la catégorie spéculative.
Dans l’échelle des notes de Fitch Ratings, la catégorie spéculative regroupe les notes BB+, BB, BB-, B+, B, B-, CCC+, CCC, CCC- (à long terme) et B, C (à court terme). Pour comprendre pourquoi nous ne devrions pas pavoiser, la note CCC+, qui suscite enthousiasme, est à deux doigts, entendez à deux dégradations, du défaut de paiement probable, imminent ou avéré auquel Fitch Ratings applique les notes CC,C, DDD, DD, D (long terme) et D (court terme). Certes, on n’est pas dans la me…, mais on y est presque.
Tirons les bonnes conclusions
S’il est inutile de revenir en détail sur le communiqué publié par Fitch Ratings, il est bon, toutefois, de s’arrêter sur deux points mentionnés dans le rapport. Le premier est que « La note de la Tunisie a été relevée à la suite de la conclusion de l’accord avec le Fonds Monétaire International ».
Le second point du rapport de Fitch Ratings, qui nous semble intéressant à reproduire, précise que « Des négociations sont actuellement en stade finale entre les autorités tunisiennes et l’Arabie saoudite, Abu Dhabi et Afreximbank pour un financement d’environ 1,3 milliard USD (près de 4 milliards de dinars), qui avec la première tranche du FMI, comblerait le déficit de financement pour 2022 ». Toute importante qu’elle soit, nous aurions aimé que cette information, éminemment nationale, soit révélée par Mme Bouden. Qu’elle nous parvienne par le biais d’un organisme de notation extérieur, cela démontre que le gouvernement veut occulter certains aspects de l’accord.
A notre avis, que les sources officielles tunisiennes conservent la confidentialité des pourparlers pour qu’elles aboutissent, n’est pas une raison pour expliquer ce mutisme d’autant plus que le montant des accords est indéfiniment dérisoire par rapport à ce que proposent les pays du Golfe à l’Egypte pour ne citer que celui-ci. En avril dernier, l’Égypte a annoncé la vente de près de 40 milliards de dollars d’actifs sur quatre ans et plusieurs pays du Golfe se sont rués sur l’occasion et ont d’ores et déjà dépensé quelque 20 milliards de dollars pour l’acquisition de biens publics mis à la vente.
Si l’on suit ce raisonnement, l’on ne sait pas quels biens publics la Tunisie a pu offrir à l’Arabie saoudite, Abu Dhabi et Afreximbank pour obtenir le financement auquel elle aspire, toujours est-il qu’en l’absence de parlement, des choses de cette importance se doivent d’être divulguées pour leur procurer à la fois transparence et crédibilité.
En temps normal, j’aurais signé cet article par les initiales C.C. Mais comme cela me rappelle la notation négative de Fitch Ratings, le risque de voir mon propos mal interprété m’en a dissuadé finalement !