Dimanche 05 août au soir, l’ambassadeur du Canada en Arabie Saoudite s’est fait expulser comme un malpropre après avoir critiqué «la politique répressive des autorités saoudiennes» à l’égard de ceux qui clament la liberté d’expression. Une décision radicale qui a fait couler beaucoup d’encre sans pour autant affecter les principaux échanges commerciaux entre les deux pays.
Pour Riyad, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un vase si longtemps rempli par le mépris continuel des Américains et les attaques de tout bord émanant, parfois même, des pays arabes et des associations de défense des droits de l’Homme. De ce fait, Mohamed Ben Salmane a décidé de marquer les esprits en désignant le Canada du «sympathique» Justin Trudeau comme bouc émissaire. Ce coup de poing sur la table des puissances occidentales est une manière pour l’Arabie Saoudite de rappeler son rôle militaire prépondérant face à la «menace» iranienne et l’importance de ses puits de pétrole si crûment convoités dans l’arène internationale.
Afin de justifier cette soudaine animosité, les Saoudiens ont fait entendre qu’ils n’acceptaient plus que l’on se mêle de leur politique en prétextant, sans cesse, le non-respect des droits de l’Homme. Le Canada a, en effet, vivement critiqué le traitement infligé par la justice saoudienne à Raif Badawi, un écrivain et blogueur saoudien connu pour ses caricatures osées, ses prises de position vis-à-vis de la liberté d’expression et son combat pour l’émancipation des femmes.
En 2012, Badawi a été accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam par les autorités religieuses de son pays, un crime, généralement, puni par la peine de mort. Il est arrêté le 17 juin 2012 pour plusieurs chefs d’inculpation à caractère religieux puis condamné, le 7 mai 2014, à dix ans de prison et mille coups de fouet, distribués en vingt séances hebdomadaires de flagellation. Son épouse, Ensaf Haidar, et ses trois enfants sont forcés de quitter le pays pour le Liban puis l’Égypte, avant d’obtenir l’asile politique au Canada en octobre 2013 où ils résident actuellement. Ces derniers obtiennent la citoyenneté canadienne le 1er juillet 2018. De par ce fait, les autorités canadiennes ont demandé à maintes reprises la libération du blogueur et l’arrêt immédiat des sanctions inhumaines qu’ils subit au quotidien. Ce à quoi Riyad a répondu par la négative.
Mais il est clair que cette histoire ne tient pas la route car cette expulsion de l’ambassadeur canadien est vraiment disproportionnée par rapport au contexte. L’Arabie Saoudite a, de tout temps, été la cible de la communauté internationale concernant la façon dont elle traite ses prisonniers et n’a jamais répliqué de la sorte, bien qu’elle aurait voulu le faire. En revanche, elle peut se permettre de sortir les crocs avec le Canada, car leurs échanges commerciaux, de l’ordre de 3,2 milliards de dollars seulement, sont quasi nuls. De plus, d’après les chiffres de la Banque mondiale, les exportations canadiennes vers l’Arabie Saoudite ne représentent, environ, que 0,2%. Notons qu’après l’annonce du gel des relations économiques avec l’Arabie saoudite, le dollar canadien n’a perdu que 0,3% de sa valeur face au dollar américain, selon Bloomberg.
Cependant, il est intéressant de noter que Riyad ne compte pas interrompre ses exportations de pétrole vers le Canada, ni de rompre le contrat militaire de vente de véhicules blindés canadiens d’une valeur de 15 milliards de dollars, signé avec Ottawa en 2014. Avec l’éventualité d’un conflit armé et sanglant avec l’Iran, l’Arabie Saoudite n’a pas l’intention de baisser sa garde.
Tout compte fait, cette affaire qui a pris une tournure médiatique sans précédent à travers la monde, a été le voile qui a camouflé les atrocités commises par l’armée saoudienne au Yémen, deux jours après l’expulsion de l’ambassadeur canadien. Bien trop occupés à s’attarder sur une affaire sans le moindre intérêt, les journalistes occidentaux ont fait la sourde oreille lorsqu’une cinquantaine d’enfants yéménites ont été massacrés par les missiles saoudiens achetés chez ces mêmes personnes qui prétendent défendre les droits de l’Homme.
Mohamed Habib LADJIMI
Tunis-Hebdo du 13/08/2018