Tels des parasites qui rongent sans vergogne la chair humaine, les mafias établies autour des marchés de gros se sont définitivement arrogé et les richesses agricoles du pays et les prix auxquels elles sont écoulées. Ils contrôlent quasiment toute la chaîne : du moindre bourgeon qui pousse dans un verger ou un potager aux récoltes.
Rien ne transite par les marchés de gros sans leur aval. Rien ne se négocie en dehors des circuits parallèles qu’ils ont réussi à installer à travers tout le pays, une chaîne mafieuse dont le moindre maillon obéit au doigt et à l’œil à ces contrebandiers d’une envergure peu habituelle.
Cette situation, que la déchéance progressive du pouvoir politique ne fait que corroborer, occasionne chaque année à l’ensemble des Tunisiens des pertes de plusieurs millions de dinars qu’ils expédient, illicitement, dans les poches de ces mafieux. Ces derniers poussent le bouchon de plus en plus loin en mettant les tarifs des denrées, autrefois à la portée des consommateurs, carrément hors d’atteinte.
Il faut dire que cette mafia a toujours existé, mais elle n’a jamais été aussi loin dans les pratiques illégales. Dans les années soixante-dix, une nouvelle caste tout aussi parasitaire que l’actuelle, mais moins gourmande, a commencé à s’emparer de la distribution des légumes et fruits, entendez leur acheminement vers les marchés de gros.
Les fameux « habattas » étaient des sortes d’intermédiaires qui justifiaient le pactole qu’ils récoltaient de cette « médiation » par l’effort qu’ils font en faveur de l’agriculteur et du citoyen. En ce temps-là, les fameuses camionnettes rouges de la Société du transport léger, que dirigeait à l’époque feu Azouz Rébaï, commençaient à disparaitre du fait que l’Etat avait lâché le monopole de la distribution et livré le secteur à des prédateurs de toutes acabits.
Ces prédateurs n’avaient pas, toutefois, réussi à s’emparer de tout le circuit comme c’est le cas actuellement, mais les pratiques les plus illicites ont commencé à voir le jour et dès que le marché de gros de la capitale (le marché « El B’hira », actuel souk Moncef Bey), a déménagé au nouvel espace pimpant neuf de Bir Kassaâ, les mafias ont commencé à s’y établir, à dicter leur loi et à contrôler l’ensemble des marchés de gros du pays et ses circuits de distribution.
Seulement, le pouvoir politique était fort. Toutefois, les gouvernements, qui se sont succédé à la tête du pays jusqu’à janvier 2011, ont fait des marchés et de l’approvisionnement des marchés l’un des fers de lance de leurs politiques sociales.
Ben Ali en faisait même une fierté, la veille des Ramadan et même le restant de l’année en imposant à toute cette mafia des tarifs de rigueur comme ce fut le cas pour les pommes de terre, dont les prix étaient toujours édictés par l’Etat.
Ce qui s’est passé depuis, c’est l’affranchissement total de tous ces « intermédiaires » convertis en mafieux de la pire espèce. Allez voir du côté de Bir Kassaâ, c’est la foire d’empoigne : plus de pesée, de factures, on y entre comme dans un moulin et on sort avec tout ce que l’on veut sans prouver quoi que ce soit ni payer la moindre dîme.
Bien évidemment ce n’est pas demain la veille que le gouvernement bougera le petit doigt. Il est empêtré dans une tout autre surenchère… celle des élections.
Imed BEN HAMIDA
Tunis-Hebdo du 10/06/2019