À un mois du début des élections, nous avons contacté M. Taïeb Baccouche, secrétaire général du parti Nidaa Tounes, pour un entretien, qui a eu lieu le 25 septembre au siège parti, au Lac à Tunis.
Interview par Lilia Weslaty
Pourquoi avez-vous co-fondé Nidaa Tounes ?
C’est M. Béj Caïd Essebsi qui a eu l’idée de fonder Nidaa Tounes et m’a demandé de faire partie de l’équipe fondatrice, en quelque sorte. Je dois reconnaître que j’ai hésité un certain temps, car j’étais plutôt pour un effort de rassemblement des partis, très nombreux, qui étaient éparpillés. Cette situation a eu pour conséquence, justement, la perte de plus d’un million 350 mille voix, qui n’ont rien donné : aucun siège, alors que pour Ennahdha le même chiffre a donné 89 sièges. Pour moi, la priorité était de rassembler les forces qui étaient éparpillées, et donc cette dispersion ne pouvait être que négative sur le résultat et sur le paysage politique. Mais les efforts que nous avons déployés pour cela n’ont pas donné le résultat escompté.
Finalement, je me suis rangé à l’idée de la création de Nidaa Tounes, non pas pour ajouter un autre chiffre, mais pour que ce parti soit un parti de rassemblement. Voilà l’idée de la création de Nidaa Tounes.
Et effectivement, j’ai senti qu’il y avait une attente de beaucoup de gens qui prenaient contact avec moi, m’invitaient à des réunions, avant la création du parti, me disaient souvent : Si vous-même ou M. Béji Caïd Essebsi créez un parti… Nous sommes déçus des partis des élections du 23 octobre 2011, et bien nous intégrerons ce parti. Et c’est ce qui nous a encouragés .
Effectivement, dès les premiers jours de l’annonce de la création du parti, il y a eu sur Internet plus de 100 mille demandes d’adhésion, alors qu’on n’avait ni local, ni administration, ni secrétariat, ni rien du tout pour faire face à une telle demande… Genèse de la création de Nidaa Tounes qui a été officiellement créé, donc, l’été 2012.
Qu’en est-t-il maintenant de l’Union pour la Tunisie (UPT) ?
L’Union pour la Tunisie, c’était justement un des objectifs de la création de Nidaa Tounes, qui soit le centre de rassemblement du parti. Il a commencé par trois partis, nous l’avons élargi à cinq ; une défection de l’un des trois premiers partis, il en est resté quatre. Nous n’avons pas réussi à présenter sur les listes électorales communes sous le label… Mais l’essentiel, en fin de compte, la dernière plate-forme politique sur laquelle nous nous sommes mis d’accord à laisser la liberté à chaque parti soit de se présenter ou de présenter des listes partisanes, soit de présenter des listes communes avec d’autres sous le label de l’Union pour la Tunisie. Le résultat, c’est que Nidaa Tounes et Echtiraki se sont présentés à des listes partisanes. El Massar et « el Amel el watani democrati », les deux ensemble, ont présenté des listes sous le label de l’Union pour la Tunisie.
Pensez-vous qu’il y aura un programme en commun à l’Assemblée du Peuple avec l’UPT?
Bien sûr, c’est évident. Il y a d’abord une coordination au niveau de la supervision des élections, il y a une coordination de la formation des observateurs, il y a également une coordination au niveau du calendrier politique des meetings, pour qu’il n’y ait pas un chevauchement à la même date et au même endroit. Après les élections, il y a une perspective de collaboration si Nidaa Tounes et les partis qui sont associés peuvent collaborer ensemble au nouveau gouvernement .
Il s’agira bien d’une alliance ?
C’est une alliance politique.
Bien que le conseil national de Nidaa ait refusé de se présenter avec l’UPT sous la même bannière ?
Ce n’est pas une question de refus, c’est un choix qui a été fait avec des arguments, qui peuvent se défendre : à savoir que si on veut qu’on change de label, ce qui est considéré dangereux pour l’électeur, un conseil de plusieurs experts sur ce domaine…
Comment décririez-vous Nidaa Tounes ?
Il est centriste, mais qui peut avoir des interférants droite-gauche.
C’est possible de rallier des hommes d’affaires de droite et de gauche dans un même programme ?
C’est possible.
Que pensez vous de BCE comme personnage politique ?
D’abord, M. Béji Caïd Essebsi a une longue expérience politique du temps de Bourguiba et les premières années de Ben Ali. Moi, je l’ai surtout connu lorsqu’il avait présidé le gouvernement après la révolution. J’étais ministre de l’Éducation au premier gouvernement de Mohamed Ghannouchi et je suis resté le porte-parole du conseil ministériel pendant la même période. Et à ce moment-là j’ai bien connu M. Béji Caïd Essebsi. C’est un homme d’État qui a une longue expérience, c’est très important, y en a pas beaucoup.
Qu’avez-vous pensé de son rendement en 2011, en tant que Premier ministre ?
Je pense que vu les spécificités de la période, avec tous les dépassements, le chômage, la sécurité, etc., le gouvernement de BCE a réussi à respecter ses engagements, à organiser les élections libres et démocratiques à la date fixée, et les membres de ce gouvernement ont accepté de ne pas se présenter aux élections législatives de la Constituante pour qu’il n’y ait pas de confusion entre le gouvernement et l’avenir politique de chacun.
Nous avons respecté nos engagements : le baccalauréat réussi, et tous les concours également ; le chômage a relativement baissé puisqu il y a eu une dizaine de milliers de créations d’emplois. Maintenant ,la situation n’est pas aussi… Disons c’est pire qu’avant : le chômage a augmenté, le pouvoir d’achat a baissé, l’insécurité avec tous ces assassinats. Le gouvernement de la Troïka a été un échec, ils n’ont pas respecté leurs engagements, ils ont mis plus de deux ans.
1987 : Quelle était votre position suite à la mise à l’écart de Bourguiba par Ben Ali ?
1987, ce qui est à retenir, je pense, c’est que c’est un coup d’État médical. Mais il a été fait dans un cadre constitutionnel puisque la Constitution le prévoyait. Le président Bourguiba était réellement malade et prenait des décisions, il changeait des ministres, l’État était malade, malgré toute l’histoire prestigieuse de Bourguiba. Donc le changement pourrait être positif pour la stabilité du pays. J’ai trouvé que ce qui était important c’est que le changement était sans dégât, donc cet aspect là était un aspect positif, c’était un accouchement sans douleur en quelque sorte.
Qu’avez-vous pensé de Bourguiba ?
J’ai toujours eu du respect de Bourguiba. C’est un homme qui a une grande qualité, c’est un leader, c’est un homme d’ État remarquable, qui avait une vision stratégique claire et qui a combattu pour l’indépendance de la Tunisie dans le cadre du Neo-Destour avec un allié de taille : l’UGTT, Farhat Hached en particulier.
Juste après l’Indépendance, il a été à l’origine d’un État moderne, il a généralisé l’enseignement et il a fait beaucoup pour la promotion de la femme. Ce sont ces choix-là qui ont marqué la Tunisie des générations post-indépendance.
Pensez-vous que son âge était un problème pour qu’il soit déposé ?
Bien entendu, ce n’est pas l’âge intrinsèque, mais c’est l’âge combiné avec la maladie. Il n’était pas en mesure de conduire convenablement l’État. Je pense qu’il aurait dû se retirer à temps et superviser la transition démocratique, chose qui n’a pas été faite.
Est-ce que Béji Caïd Essebsi est gravement malade ?
« Gravement », je ne le pense pas.
Est-ce qu’il est malade ?
Tout le monde est malade. Qui ne l’est pas ? D’abord, il y a des jeunes malades et à partir de 60, 70 ans. Tout le monde souffre de quelque chose.
Est-ce qu’il est malade au point qu’il ne puisse pas être président de la République ?
Je ne le pense pas. D’abord, parler de la maladie de quelqu’un, je trouve que c’est de l’indécence. Ça relève d’abord du secret médical, et le secret de la personne.
C’est une personnalité publique, pensez-vous que cela ne concerne pas le public ?
Même pas. Personne n’a le droit d’en parler sauf les médecins.
Mais il fallait le faire quand Bourguiba, qui était malade, guidait encore le pays ?
Parce qu’il prenait des décisions irrationnelles. M. Béji Caïd Essebsi n’est pas à la tête de l’État pour prendre des décisions. Moi je le vois en train de travailler, il est tout à fait normal.
Que pensez-vous de la candidature de M. Béji Caïd Essebsi à la présidentielle ?
Pourquoi cette question ? Il est le président du parti, ce n’est pas une question normale. Il a le droit de se présenter, il est le président du parti, et le parti a présenté son président comme candidat, et c’est dans l’ordre des choses.
Donc vous trouvez que c’est « normal » qu’il se présente, à 88 ans, à la présidentielle en 2014 ? Sachant que 50% de la population tunisienne a moins de 30 ans ?
D’abord, une chose : les structures de son parti l’ont proposé, et puis il a posé sa candidature, et c’était son choix. Ce sont les électeurs qui vont trancher, et si cette population n’est pas d’accord, on verra cela au résultat du scrutin. Il se trouve que tous les sondages le mettent en tête des candidats, et comment expliquer cela ?
Certains politiciens posent la question : Pourquoi n’étiez-vous pas candidat à la présidentielle ?
On ne peut pas se présenter avec deux candidats au même parti .
À la place de BCE ?
Si M. Béji Caid Essebsi ne s’était pas présenté, la question se poserait légitiment. Ce n’est pas le cas puisqu’il y a une candidature. Il ne peut pas y avoir deux candidatures.
M. Ajmi Lourimi, du parti Ennahdha, m’a dit à votre adresse : « On s’attendait à ce que vous soyiez la voix de la raison au sein de Nidaa Tounes. Nous avons besoin d’une alliance historique mais il y a une certaine déception de votre part. Il y a un groupe d’éradicateur et d’RCDistes… On ne comprend pas votre position à Nidaa Tounes… » Est-ce que vous pouvez éclaircir cette ambiguïté ?
Je réponds tout simplement : d’abord, dans toutes les prises de position de Nidaa Tounes et toutes les prises de position personnelles, vous ne trouverez pas un seul exemple d’attaque contre Ennahdha ni de diabolisation, mais des critiques de leur gestion politique, en tant que parti dominant de la Troika. Par contre, si vous jetez un coup d’oeil sur les pages Facebook de nahdhaouis, vous trouverez des attaques, des insultes contre la personne. Ce n’est même pas de la position politique telle que « athée », « éradicateur ». Je n’ai jamais été de ma vie « éradicateur ». La preuve : lorsque l’ancêtre d’Ennahda a été condamné en 1981 sous le règne de Bourguiba, j’étais à cette époque secrétaire général de la santé syndicale. J’ai suivi leur procès, ce qui leur a été reproché, leur réunion illégale, ou bien des des tracts… Je lui ai dit que nous avons été victime de procès politique, donc nous sommes contre de tel procès. L’éradicateur ne fait pas ça. Par contre, je suis contre leur idéologie, leur stratégie qui s’étend sur toute la mouvance des Frères musulmans.
Est-ce que vous pouvez éclaircir ce point un peu plus ?
C’est connu : les Frères musulmans, qui ont pris le pouvoir en Égypte, d’une manière légale au bout d’un an, je pense qu’ils ont retenu les leçons de cette expérience et qu’ils ont changé de discours.
Pensez-vous que les politiciens tunisiens vont refaire la même erreur qu’en 87 en se ralliant avec Ben Ali, juste pour contrer les islamistes ?
Qui vous dit que les démocrates sont…
Je dis les « politiciens » qui se sont mis du côté de Ben Ali.
Qui sont les politiciens ?
Les politiciens qui se sont mis du côté de Ben Ali dans le seul but de contrer l’islamisme politique.
D’abord , vous soulevez-là un autre problème : celui de l’islamisme politique, qui est un concept. Il n’y a pas d’islamisme politique : pour moi, il y a des partis politiques qui se cachent derrière la religion ou qui utilisent la religion à des fins politiques. Et pour moi, ça c’est malsain, puisque la religion, c’est quelque chose de commun à tous les Tunisiens, personne n’a le droit de se considérer comme le représentant de la religion, personne. Là, on touche un problème de fond et c’est là où il y a de la divergence, et c’est là ou je m’oppose à cette conception des choses. Faites de la politique et laissez la religion de côté : elle est un patrimoine, un bien commun à tous les Tunisiens, conduisez-vous en parti politique.
Vous définissez-vous comme séculier ou laïc ?
Séculier.
Comment se passe la collaboration de Nidaa Tounes avec la Fondation Konrad Adenauer ?
La fondation, il y avait des collaborations bien avant. Personnellement, quand je présidais l’Institut arabe des droits de l’Homme, et maintenant, avec l’académie politique du parti, il y a une collaboration culturelle.
Le parti a une académie politique et elle est présidée par ? Qui la gère ?
Un des membres de la direction.
Il s’appelle ?
Il y a tout un bureau. M Hassan Annabi coordonne cette action.
Une sorte de think tank ?
En quelque sorte.
Est-ce que Nidaa Tounes est financé de l’étranger ?
Non.
Il y a beaucoup de RCDistes qui ont intégré Nidaa Tounes. Quels sont vos critères de sélection des RCDistes ?
Il n’y a pas un véritable critère de séléction. Il y a des demandes, et quand il n’ y a pas de problème, ces demandes sont acceptées parce qu’on estime que chaque citoyen qui n’a pas de problème avec la justice a le droit de militer politiquement.
Est-ce que vous avez été critiqué à l’intérieur du parti pour ne pas avoir intégré tel ou tel personnage RCDiste nocif ?
C’est possible. Je n’avais pas connaissance directe avec les RCD et je ne connaissais pas tous les RCDistes pour pouvoir juger.
Adel Jarbouii, tête de liste en France ?
Non il n’est pas tête de liste France, il est coordinateur du bureau de Nidaa Tounes à Paris.
Vous le connaissez bien alors ?
Non, je ne le connaissais pas. Je l’ai connu quand il a été choisi par ses camarades comme coordinateur .
Est-ce que vous avez eu des critiques par rapport à cet homme, de l’intérieur de Nidaa ?
Je n’aime pas discuter si telle personne est bien ou non.
Il y a aussi Mohamed Mahmoudi à Hajeb el Ayoun, Raouf Khamassi, Sofiene Toubel à Gafsa. Il y a même des gens qui disent que le clan démocrate à Nidaa Tounes a carrément échoué face à ce flux de RCDistes vraiment nocifs et qui sont rejetés…
Je vous ai dit que je ne connais pas tous les RCDistes pour pouvoir juger. Je juge sur des actes, et je juge les personnes sur des actes, et je porte mon jugement à l’intérieur des structures du parti, ça ne peut pas être à l’extérieur du parti. Pour ce qui est des élections, c’est aux électeurs de décider si tel est bon ou mauvais.
Pensez-vous que le clan démocratique n’ a pas perdu la bataille à Nidaa Tounes ?
Il n y a pas de bataille, les choses se clarifieront après les élections.
Même pour la question des femmes, vous avez quatre femmes en tête de liste ?
Il y en a deux : à Nabeul Mme Selma Elloumi, et à Tunis 1, Leila Bahri, je crois…
Quels projet de loi comptez-vous passer à la nouvelle Assemblée du Peuple ?
C’est prématuré. Il y a des choix de politique sur le plan économie, social, culturel, sécuritaire etc… Les affaires étrangères, toute la politique générale de la gestion du pays pour assurer une meilleure transition politique, un véritable développement démocratique et un développement intégral. Évidemment, c’est des choix qu’on fait. Des lois sont faites pour concrétiser cela, des lois viennent après et on ne peut parler de ça qu’après les élections.
Pensez-vous que vous serez à Nidaa Tounes jusqu’aux élections ? Il y a beaucoup de rumeurs sur une probable démission de votre part ?
Il y a eu une menace de démission à un moment donné, qui est dépassée actuellement. C’est tout à fait normal qu’il y ait des divergences et qu’on arrive à les surmonter ou à les dépasser par le dialogue.
Comment avez-vous surmonté cette crise ?
Sans entrer dans les détails, par le dialogue et le compromis. C’est de l’histoire ancienne.
Ça ne va pas se répéter ?
Si ça se répète, j’en parlerai dans ce cas. Ce n’est pas à rabâcher pendant la campagne électorale.
Que pensez-vous du peuple tunisien ?
Je vous dirais ce que disait feu Farhat Hached, le martyr national et syndical, “Ouhabek ya cha3ab »… J’aime mon pays et je suis à son service.
Mais que pensez-vous de lui ?
Il est vrai que le peuple tunisien a toujours donné l’image d’un peuple pacifique qui rejette la violence, d’un peuple qui règle le problème par le dialogue. Mais quand on voit maintenant des phénomènes nouveaux, de violence, d’assassinats, quelques fois d’une manière sauvage, on se pose des questions. Pas sur le peuple tunisien, mais sur des phénomènes qui n’étaient pas dans les habitudes du peuple tunisien.
Que pensez-vous des assassinats 56-59 sous Bourguiba, l’épisode Sabbat Edhalem ?
Il y avait un début de guerre civile, on ne peut parler d’assassinat.
Il y a eu beaucoup d’assassinats quand même ?
Dans les deux sens. Ce n’était pas une véritable guerre civile, c’était un début de guerre qui s’est réglé assez rapidement et relativement sans beaucoup de dégâts par rapport aux autres guerres civiles qu’ont vécu d’autres pays. L’exemple de l’Algérie qui a vécu une guerre civile y a pas longtemps, avec 200 mille morts ; voyez ce qui se passe au Yémen, en Irak, en Syrie.
Doit-on toujours se comparer au pire ?
Non, en Libye également. C’est-à-dire, relativement, la Tunisie s’en sort, et j’espère qu’elle s’en sortira toujours avec le moins de dégâts.
Quel apport Nidaa va-t-il apporter à cette transition post-dictatoriale ?
Justement, c’est de contribuer à la réussite de cette transition avec le moins de dégâts possible et avec le maximum de réalisations possibles.
Est-ce qu’il y a une possible alliance à l’Assemblée du Peuple ou politique avec Ennahdha ?
Le terme “alliance” est impropre. Je vous explique pourquoi c’est impropre dans ce cas précis : parce que l’alliance, c’est contre quelqu’un d’autre. Or, contre qui on fait une alliance ? Ça n’a aucun sens. Les alliances se font en fonction des programmes, en fonction de la vision qu’on a de la société. Donc on ne peut s’allier qu’avec ceux avec qui on partage les mêmes idéaux, les mêmes programmes, grosso modo, la même conception sociétale, le même projet sociétal. On ne peut pas s’allier contre ceux qui sont contre. C’est pour cela que le terme alliance avec Ennahdha, je trouve que c’est un terme inapproprié.
Sur le plan économique, pensez-vous qu’il y ait des divergences ou des convergences entre vos deux programmes ?
Je n’ai pas encore vu le programme d’Ennhadha pour juger de ses choix économiques, mais je pense que sur le plan économique Ennahdha est plutôt un parti libéral .
Et votre parti ?
C’est plus que cela. C’est-à-dire pour un équilibre entre les instituts privés et le rôle régulateur de l’État, pour qu’il y ait la plus grande justice sociale possible entre les catégories sociales et entre les riches.
Une dernière question : Comment avez-vous vécu votre « 14-Janvier » ?
Comment je l’ai vécu ? J’étais à l’Institut arabe des droits de l’Homme. Je pense qu’il y avait un constat : d’abord, ce n’était pas du tout canalisé ou organisé par des partis ou des organisations. C’était assez, en apparence, spontané, donc c’était déjà essentiellement… Ça pouvait déraper, il y avait le risque de dérapage. La preuve : beaucoup de malfrats, beaucoup de voleurs ont profité de la situation, beaucoup de criminels, des centaines de criminels ont fui la prison. Certains sont encore en fuite. Peut être on les trouve en Syrie ou en Libye, ou à Daech, ou bien à Chaambi.
Chaque fois qu’il y a quelque chose qui peut déborder d’un cadre légal, il présente des risques pour la population. Heureusement que la Tunisie a su arranger les choses assez rapidement avec une continuité de l’État, même affaibli, mais avec une continuité de l’État.
Et vous, comment vous l’avez vécu ?
Personnellement ?
Oui.
Je peux vous assurer, et je l’ai dit dans certains de mes écrits et de mes conférences, que si le régime continue dans la voie qu’on connaît pendant les dernières années, avec beaucoup d ‘abus et d’injustice, il y a un risque d’éclatement, il y a un risque réel de soulèvement populaire.
Donc ce n’était pas du tout surprenant, pour moi. Mais c’était uniquement la date, mais le phénomène ou l’aboutissement était prévisible parce qu’ il était clair que ce régime ne voulait pas respecter la Constitution. Il a changé la Constitution pour pouvoir se présenter et il a essayé aussi de la changer en 2014.
Comment vous l’avez vécu, vous ? Je ne parle pas de votre réflexion par rapport au 14-Janvier. Chacun se souvient de son 14-Janvier.
Nous avons mené une réflexion sur ce qui se passe et, puis de toutes les façons…
Je veux dire : vous aviez fait quoi le 14 janvier 2011, pour être plus précise ?
Je vous l’ai dit, j’ étais à l’Institut arabe des droits de l’Homme.
Vous avez passé toute la journée à l’Institut arabe des droits de l’Homme ?
Le temps que je devais passer, comme d’habitude. Et c’étaient des visites de personnes, des amis, chez moi, pour discuter de la situation du pays. Le lendemain, j’ai été contacté pour faire partie du gouvernement.
Vous n’êtes pas sorti à l’Avenue, vous n’êtes pas allé à l’Avenue, vous êtes resté en contact avec des gens ?
J’étais bien en contact avec des gens, aussi bien par téléphone que par le contact direct, et je voyais aussi…
Pas avec Ben Ali : )
Non, je n’avais aucun rapport avec lui. Au contraire, il a gelé les avoirs de l’institut pendant une bonne période au milieu des années 2000 parce qu il refusait certains dossiers.
Et c’est Mohamed Ghannouchi qui vous a contacté ce jour là ?
Sans entrer dans les détails, l’essentiel c’est que j’ai été contacté ce jour là pour faire partie du nouveau gouvernement.
J’aimerais bien savoir par qui vous avez été contacté.
Mohamed Ghannouchi est un camarade du secondaire.