Plusieurs figures historiques du mouvement Ennahdha, longtemps dominant sur la scène politique tunisienne, sont aujourd’hui absentes du débat public ou font face à des poursuites judiciaires. Que sont devenus ces leaders qui, pendant une décennie, ont façonné l’après-révolution ?
Depuis le 25 juillet 2021, plusieurs dirigeants d’Ennahdha – ancien pilier de la vie politique tunisienne post-révolution – font face à des poursuites judiciaires, à des restrictions de déplacement ou à un retrait forcé de la scène publique. Certains, comme l’ancien ministre Mohamed Ben Salem – dont une récente photo en compagnie d’un journaliste a été publiée sur les réseaux sociaux – se trouvent dans une situation le moins qu’on puisse dire préoccupante. D’autres sont incarcérés ou vivent à l’étranger. Que sont devenus ces figures politiques d’hier ?
Rached Ghannouchi, figure centrale déchue
Rached Ghannouchi, président du mouvement et ancien président de l’Assemblée des représentants du peuple, a été incarcéré en 2023. Âgé de plus de 80 ans, il a été condamné à plusieurs peines dans des affaires liées au terrorisme et au blanchiment d’argent, des accusations que ses proches qualifient de politiques. Son emprisonnement symbolise la fin d’une ère pour Ennahdha et pour l’islam politique en Tunisie.
Ali Laarayedh, l’ancien chef du gouvernement derrière les barreaux
Ali Larayedh, ancien ministre de l’Intérieur puis chef du gouvernement en 2013, a lui aussi été arrêté. Il est poursuivi dans l’affaire dite des « envois vers les zones de conflit », qui concerne le départ de jeunes Tunisiens vers la Syrie. Comme Ghannouchi, il rejette les accusations et dénonce un procès politique.
Hamadi Jebali : Un retrait progressif
Premier chef de gouvernement après les élections de 2011 et figure historique du mouvement Ennahdha, Hamadi Jebali s’est progressivement éloigné du parti avant même la rupture politique de 2021. Démissionnaire d’Ennahdha en 2014, il a tenté une aventure politique indépendante, sans réel succès.
Ces dernières années, il a fait parler de lui à travers quelques ennuis judiciaires, notamment une arrestation en 2022 dans une affaire présumée de blanchiment d’argent, qui a suscité des réactions critiques de la part de sa famille et de certains militants. Libéré par la suite, Jebali vit aujourd’hui dans une relative discrétion, sans activité politique apparente. Son nom reste toutefois associé à une période charnière de la transition tunisienne post-révolutionnaire.
Abdellatif Mekki, reconverti et critique
Ancien ministre de la Santé, Abdellatif Mekki a pris ses distances avec Ennahdha avant même le 25 juillet. Il a fondé un nouveau parti, « Travail et Réalisation », et critique aujourd’hui autant le pouvoir actuel que les erreurs passées du mouvement islamiste. Sa tentative de se réinventer politiquement reste toutefois marginale.
Abdelkarim Harouni : Eternellement poursuivi !
Ancien ministre des Transports et président du Conseil de la Choura d’Ennahdha, Abdelkarim Harouni a été placé en résidence surveillée en septembre 2023 et puis arrêté depuis quelques mois. Cette mesure a été dénoncée par Ennahdha comme une atteinte à la liberté et une tentative de consolidation d’un régime autoritaire.
Lotfi Zitoun, en fuite
Autre figure dissidente, Lotfi Zitoun, longtemps bras droit de Ghannouchi, a quitté Ennahdha en 2020. Il s’est reconverti dans le conseil stratégique et s’exprime rarement publiquement. S’il conserve une audience intellectuelle, il s’est éloigné de l’arène politique. Cependant, il a été condamné à 30 ans de prison et serait en fuite à l’étranger pour poursuites dans le cadre de l’affaire Instalingo.
Mohamed Ben Salem : entre ennuis judiciaires et problèmes de santé
Parmi les figures marquantes d’Ennahdha, Mohamed Ben Salem, ancien ministre de l’Agriculture sous la troïka, illustre la complexité de la période actuelle. Visé par une interdiction de voyager depuis plusieurs mois, il fait également l’objet de poursuites dans des affaires financières encore non jugées. Sa situation a récemment attiré l’attention après la diffusion de témoignages soulignant sa dégradation physique et sa difficulté d’accès aux soins.
Sahbi Atig : Prison !
Un autre dirigeant de premier rang d’Ennahdha qui est en détention. Sahbi Atig serait liée à une affaire qui concerne la découverte de sommes en devises étrangères à la suite du cambriolage de son domicile.
Samir Dilou : retour à la robe noire
Ancien ministre des Droits de l’Homme et membre éminent d’Ennahdha, Samir Dilou a pris ses distances avec la direction du mouvement bien avant le 25 juillet 2021, dénonçant certaines orientations internes. Depuis la mise à l’écart d’Ennahdha de la scène politique, il est revenu à son métier d’avocat, qu’il n’a jamais totalement abandonné.
Très actif dans les affaires de libertés publiques et de défense des figures politiques ou syndicales, Dilou adopte aujourd’hui une posture de défenseur des droits, intervenant dans plusieurs dossiers sensibles. Son retour aux origines professionnelles marque à la fois une continuité dans son engagement et une tentative de se repositionner hors des cadres partisans.
Noureddine Bhiri : entre détention et discrétion
Ancien ministre de la Justice et cadre influent d’Ennahdha, Noureddine Bhiri a connu plusieurs épisodes de détention depuis 2022, sans qu’aucun jugement définitif ne soit prononcé à ce jour. Il a notamment été arrêté dans le cadre d’affaires liées à l’abus de pouvoir et à des soupçons de corruption, selon les autorités. Son état de santé avait suscité des inquiétudes lors de sa première détention, notamment après une grève de la faim.
Rafik Abdessalem : exil
Ancien ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement Ennahdha, Rafik Abdessalem vit aujourd’hui en exil. Depuis son départ de Tunisie, il s’est montré très critique envers le régime actuel, dénonçant ce qu’il qualifie de dérives autoritaires et de restrictions des libertés publiques.
Il utilise régulièrement les réseaux sociaux et les médias internationaux pour interpeller la communauté internationale et les acteurs politiques tunisiens. Son éloignement forcé témoigne des tensions persistantes entre certains cadres historiques d’Ennahdha et les autorités tunisiennes post-2021.
Imed Hammami : un parcours marqué par des changements de position
Ancien cadre d’Ennahdha, Imed Hammami s’est fait remarquer ces dernières années par un virage politique notable. Initialement proche du mouvement, il a progressivement pris ses distances, adoptant une posture critique voire opposée à la ligne officielle du parti et un pro-Kais Saied.
Ce changement de cap a été perçu par certains observateurs comme un retournement, illustrant les fractures internes et les tensions liées à l’évolution du paysage politique tunisien. Hammami intervient désormais en tant qu’analyste ou commentateur, parfois au sein de médias indépendants, adoptant un ton plus libre et critique envers ses anciens alliés.
L’impossible renaissance ?
Avec une base démobilisée, une direction décapitée et une image ternie, Ennahdha semble aujourd’hui incapable de rebondir. Si certains analystes estiment que le mouvement pourrait renaître sous une autre forme, l’historique du mouvement ainsi son bilan post révolution compliquent tout retour en force.