Trente-quatre députés veulent amender la Loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014. A quelques jours de l’élection présidentielle, cette proposition, soumise au bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a provoqué un tollé.
En quoi consiste ce projet d’amendement ? Les députés en question souhaitent ajouter un paragraphe dans l’article 46 disposant que les candidats souhaitant déposer des recours contre les décisions de l’Instance supérieur indépendante pour les élections (ISIE) devront le faire désormais auprès de la Cour d’appel de Tunis et non plus auprès du tribunal administratif comme c’est le cas actuellement.
Ce projet d’amendement doit être soumis, aujourd’hui à la commission de législation générale avec le caractère « urgent ». Ladite commission doit examiner la proposition de loi organique modifiant certaines dispositions de cette loi relative aux élections et aux référendums. L’examen débutera par l’audition des députés qui sont à l’origine de cette proposition de loi, puis celle des représentants du ministère de la Justice.
Selon les députés en question, la situation actuelle justifie cette proposition. Ils estiment que « les désaccords et les différends dans les décisions prises et les positions affichées de la part de l’ISIE et du Tribunal administratif présagent d’éventuelles crises et d’un danger imminent menaçant le processus électoral (…) ». Toujours selon eux, l’introduction de modifications à la loi relative aux élections et au référendum, vise à garantir l’unité du cadre judiciaire chargé des litiges électoraux.
Le Tribunal administratif out ?
Or, dans ce cas bien précis, le Tribunal administratif, habilité à régler les litiges électoraux, est mis hors course au profit de la justice judiciaire. Dans le contexte des élections du 6 octobre, le conflit entre le TA et l’ISIE, pourrait ainsi, selon les députés, déboucher sur un blocage.
En réhabilitant les candidats (Mondher Zenaidi, Abdeltif Mekki et Imed Daimi) déboutés et exclus par l’ISIE et en les autorisant à participer à la présidentielle, le tribunal administratif est entré en conflit ouvert avec l’instance électorale, qui refuse toujours d’appliquer cette décision. A partir de là, certains ont évoqué la possibilité que les résultats de l’élection du 6 octobre puissent être invalidés par le tribunal administratif.
En d’autres termes, la proposition des députés a pour but de remplacer le Tribunal administratif par la Cour d’appel et la Cour de cassation et ce, dès l’élection présidentielle du 6 octobre 2024 dans le cas où ce projet est adopté à l’ARP.
Entre refus et étonnement !
Face à ce projet d’amendement de la loi électorale, les réactions de refus ont été immédiates à commencer par les équipes de campagne des deux candidats, Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui. Ils ont exprimé leur étonnement quant à une révision de la loi électorale en pleine campagne présidentielle et à quelques jours du scrutin. Ils ont indiqué que cette proposition de révision de loi constituait une atteinte aux institutions de l’État et à la justice administrative.
Hier, une manifestation s’est déroulée devant le Théâtre municipal de Tunis pour dénoncer la proposition d’amendement de la loi électorale. Les manifestants, issus de divers milieux politiques et de la société civile, ont exprimé leur opposition à cette initiative, la qualifiant de menace pour les libertés et les fondements de l’État.
Le Réseau tunisien pour les droits et libertés, organisateur de la manifestation, avait déjà alerté l’opinion publique quelques jours plus tôt, qualifiant la proposition de « précédent dangereux ». Selon eux, cette révision, survenant en pleine campagne électorale, vise à limiter les compétences du tribunal administratif en matière de contentieux électoraux, compromettant ainsi l’intégrité du processus électoral.
L’UGTT et l’AMT fustigent
Le bureau exécutif national de l’UGTT a exprimé, hier, son rejet de cette proposition d’amendement de la loi électorale. La Centrale syndicale a appelé à l’abandon de cette proposition et appelé l’ISIE à intervenir pour empêcher « tout amendement qui ne respecte pas le calendrier ».
Le bureau exécutif de l’Association des magistrats tunisiens a considéré, dans un communiqué publié ce lundi 23 septembre, que le projet d’amendement de la loi électorale « porte préjudice aux fondements de l’État de droit et aux principes du système démocratique ». Il a souligné que cette initiative vise à annuler toute efficacité de la veille judiciaire sur les litiges de candidature, de résultats, ainsi que sur le financement des campagnes électorales et ce, en les retirant des parties judiciaires naturellement compétentes et des juges spécialisés.
Le bureau exécutif a appelé le pouvoir politique à retirer ce projet de loi et exhorté les députés à ne pas voter en faveur de ce qu’il a qualifié de « violation des principes de l’État de droit, des principes démocratiques et des fondements du système républicain » en raison de « son atteinte aux compétences attribuées à la justice administrative et financière ».