L’anarchie et le désordre qui prévalent actuellement dans le fonctionnement des institutions de l’Etat engendrent une forme de dissensions graves qui émergent dans les positions des divers responsables et décideurs dans le pays. Cela entraîne des opinions différentes voire parfois contradictoires qui ajoutent davantage à la confusion générale.
La dernière de ces positions est celle du Mufti de la République, M. Othman Battikh, à propos des mouvements sociaux. Dans le communiqué publié par ses soins, le Mufti a d’abord appelé « les enfants de notre peuple là où ils sont dans leurs structures administratives, dans leurs usines, dans leurs commerces, dans leurs champs, ou dans les écoles, les lycées ou les universités à mobiliser tous leurs efforts et à s’investir totalement dans le travail et dans les études, et œuvrent à améliorer leur rendement… »
Jusque-là rien de bien gênant dans la mesure, et quoique n’ayant aucune espèce d’attribution de ce genre, le Mufti n’avait rien dit de grave ou de dramatique. On pourrait même considérer que représentant et symbolisant une sorte d’autorité morale, il pourrait donner « de la bonne parole ! » Après tout, il n’aurait fait qu’encourager les citoyens à adopter un comportement civique pour aider à la reconstruction du pays.
Mais et à partir du moment où il a lié cela au « délaissement des protestations anarchiques, aux sit-in bloquant le travail et la production, au blocage des routes et à la dégradation des biens publics », tout en s’appuyant sur une sourate coranique, le Mufti a dépassé ses prérogatives dans la mesure où il a diabolisé les mouvements de protestation et les a, en quelque sorte, mis en marge de la légalité « coranique » ! Autrement dit, le Mufti a « criminalisé » un comportement social et l’a considéré comme illégal à l’égard de la religion.
Cela a engendré un flot de critiques qui sont partis de la centrale syndicale dont plusieurs membres du Bureau exécutif ont épinglé le Mufti pour lui rappeler qu’il n’a pas eu cette position à l’égard d’aspects négatifs qui gangrènent la société tunisienne comme la corruption, l’évasion fiscale, l’économie parallèle, les différents trafics et bien d’autres tares dont souffrent le pays. Par ailleurs, le gouvernement lui-même a renié les propos du Mufti dont il renie la paternité ou une quelconque autorité sur l’institution et réfuté leur contenu.
Il est clair que les responsables des diverses questions religieuses du pays, Mufti ou ministres voire de simples prédicateurs, qui se sont succédé à ces postes depuis 2011 n’ont pas brillé par leur discrétion, outrepassant souvent leurs attributions exploitant et profitant de cet « air » religieux qui a soufflé sur le pays depuis pour critiquer ou fustiger ou encore condamner tel ou tel comportement voire même telle ou telle personne.
Aujourd’hui, le Mufti se fait, sous le couvert de la paix sociale, la voix des « nantis » dans la mesure où ces comportements sociaux sont organisés par le droit positif, la Constitution et la loi, et que « ces affaires » sont du ressort et de la compétence du pouvoir exécutif, par le dialogue, et du pouvoir judiciaire, par ses décisions, pour leur traitement ou leur résolution.
Il est temps que chacun sache à quoi s’en tenir pour réintroduire un soupçon de rationalité sur le fonctionnement des institutions étatiques afin d’assurer une meilleure marche du pays.
L.L.