À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a tiré la sonnette d’alarme sur une réalité méconnue mais lourde de conséquences : plus de 500 écoles tunisiennes ne disposent pas d’un accès à l’eau potable.
C’est ce qu’a révélé Inès Labiadh, coordinatrice nationale du projet Justice environnementale et climatique au sein du FTDES, en marge d’une exposition photo organisée les 4 et 5 avril 2025 à Tunis, pour rappeler que l’eau, bien vital, est encore un luxe pour certains.
Une fracture invisible mais bien réelle
Dans les régions rurales, l’absence d’eau potable dans les établissements scolaires n’est pas une exception mais une réalité systémique. Au total, 527 écoles sont concernées, souvent privées également d’installations sanitaires de base. Cela signifie que des milliers d’enfants grandissent et étudient dans des conditions d’hygiène indignes, loin des standards que l’on serait en droit d’attendre au XXIe siècle.
Mais la problématique dépasse largement les enceintes scolaires : plus de 200 000 Tunisiens vivent aujourd’hui hors des programmes publics d’approvisionnement en eau. Une donnée qui en dit long sur la fracture hydrique qui sépare les citoyens selon leur lieu de résidence.
Une inégalité territoriale criante
Le contraste est saisissant entre les grandes villes et les zones de l’intérieur du pays. Alors que le taux de raccordement à l’eau dépasse les 90 % dans les zones urbaines, il peine à atteindre 50 % dans les campagnes. Les gouvernorats de Sidi Bouzid, Kasserine et Kairouan paient le prix fort d’un sous-développement structurel et d’un désengagement politique qui dure depuis des décennies.
Quand l’eau devient une marchandise
Autre point soulevé par la représentante du FTDES : la multiplication des entreprises d’embouteillage d’eau. Plus de 30 sociétés bénéficient aujourd’hui d’autorisations pour exploiter les sources naturelles du pays. Si cette industrie répond à une logique commerciale, elle soulève de sérieuses interrogations éthiques dans un pays où certaines communautés n’ont même pas accès à un robinet fonctionnel.
Inès Labiadh dénonce un modèle qui privilégie le profit à court terme au détriment des droits fondamentaux, et appelle à une révision en profondeur de la politique de gestion des ressources hydriques.
Réformer pour garantir le droit à l’eau
Pour faire face à cette crise silencieuse, le FTDES propose plusieurs pistes : l’adoption d’un nouveau Code des eaux, l’abandon du système des associations hydrauliques locales, jugé inefficace, et la mise en place d’un audit rigoureux des secteurs agricole et industriel afin de mesurer leur impact sur les réserves en eau.
Car derrière ces chiffres, ce sont des vies quotidiennes qui sont touchées. Et la reconnaissance du droit à l’eau ne peut plus rester théorique : elle doit se traduire concrètement sur le terrain, à travers une gouvernance plus juste, plus durable, et résolument tournée vers l’humain.
En somme, la question de l’eau en Tunisie n’est pas seulement technique ou environnementale. Elle est fondamentalement politique. Et tant que l’eau ne coulera pas de manière égale pour tous, la justice restera, elle aussi, à sec.