Tunis-Hebdo | Le Tunisien a, de temps en temps, sa petite « crise d’identité », et il part à la recherche de ses racines, pour revenir avec… un arbre généalogique ou des présomptions de paternité.
Cette « crise d’identité » a été vécue à l’échelle nationale, après la « Révolution », les « islamistes » se réclamant du « salef » des premiers siècles de l’hégire, les « laïcs » d’Elyssa, Hannibal et Kheireddine, alors que les Tunisiens d’origine berbère revendiquaient leur berbérité, longtemps estompée et en appelaient à la Kahena, Massinissa et Jugurtha.
Les plus modérés parmi les Tunisiens ont opté pour une « chakchouka nablia » vieille de trois mille ans, où se mélangent, pêle-mêle, Berbères, Phéniciens, Romains, Byzantins, Arabes, Andalous, Turcs, et j’en oublie certainement, tant des civilisations et des nations sont passées par notre pays ; ou s’y sont installés carrément, de gré ou de force.
Moi, je ne vous le cache pas (et pourquoi le cacher ? Ce n’est ni un secret ni une tare !), je suis adepte de cette « chakchouka », d’autant qu’elle est bien épicée (mharhra) , pour la simple raison que chacun de ceux que nous avons énumérés y a apporté son grain de sel, de poivre, ou de « harissa ».
Et c’est de ce mélange, si bien épicé, qu’il s’agisse de cuisine proprement dite ou d’autres faits de culture et de civilisation, qui font aujourd’hui, notre « tunisianité », que d’aucuns contestent, au bénéfice d’une seule et unique appartenance, ethnique, nationale ou religieuse.
Aujourd’hui, et après une certaine accalmie observée dans la « guerre des identités » voilà la « crise » qui revient, mais à une échelle limitée, « wal hamdou lellah » !
Il s’agit, cette fois-ci, pour « Ennahdha » et « Nidaa Tounes », les ennemis devenus frères (wallahou aâlam !), de se trouver un ancêtre commun, pour mieux sceller cette alliance politique contre nature et lui donner un air de famille.
Et les deux nouveaux frères de chercher, comme dans les mélodrames égyptiens des années 40-50 du siècle dernier, les traces du patriarche disparu. Leurs efforts sont finalement récompensés : ils sortent du placard de l’Histoire le vénérable cheikh Abdelaziz Thaâlbi.
Et ils ne pouvaient mieux trouver ! « Destourien » et « Islamiste » à la fois, Thaâlbi est donc l’ancêtre tout indiqué pour réconcilier « Nidaistes » et « Nadhdhaouis », ou, du moins, la majorité conciliante des deux familles.
Les « Nidaistes », destouriens dans leur majorité, ne peuvent pas, quand même, renier cet ancêtre. Même au test de l’ADN, ils perdront ! Thaâlbi est, en effet, le fondateur, en 1920, du Parti Libre Constitutionnel Tunisien (Al Hizb Al hor Addostouri Attounsi) lequel parti est, tenez-vous bien :
– le père (renié) du Néo-Destour, créé en 1934 par Bourguiba, Materi, Sfar et consorts,
– le grand-père du Parti Socialiste Destourien, nouvelle appellation (sous l’impulsion d’Ahmed Ben Salah) du Néo-Destour, entre 1964 et 1988.
– l’arrière grand-père du Rassemblement Constitutionnel Destourien (RCD) de Ben Ali, qui a gouverné la Tunisie de 1987, jusqu’à janvier 2011.
– et l’arrière-arrière grand-père de « Nidaa Tounes », qui compte, parmi ses rangs, une majorité de Rcdistes qui se réclament du « Destour » pour les raisons que vous connaissez.
Voilà donc l’arbre généalogique retracé, et la paternité de l’Ancêtre prouvée pour ceux qui oseraient la renier.
De leur côté, les « Nahdhouis » ne peuvent qu’accepter, logiquement, leur filiation au Cheikh Thaâlbi, puisqu’il s’agit d’un penseur islamique réformateur (comme se définit Ghannouchi à peu près), doublé d’un homme politique et d’un réformateur social.
De formation zitounienne, il a toujours milité pour un Islam en harmonie avec la vie moderne et débarrassé de toutes les fioritures inutiles, qui l’entachent comme le laisse suggérer Ennahdha dans ses moments d’ouverture.
Voilà donc « Si El Béji » et « Cheikh Ghannouchi » cousins ! La chose mérite des youyous (la « tzaghrita » aussi bien que le gâteau portant ce nom).
Mais certains, dans la famille du Nidaa, font tout (comme dans toutes les familles, d’ailleurs) pour gâcher la fête. A leurs yeux, le sommet de l’arbre familial, c’est Bourguiba. Bourguiba est le père, le grand-père, l’arrière grand-père, l’aïeul, le bisaïeul, l’ancêtre, le patriarche et tout ce que vous voudrez ! Il n’y a que Bourguiba et rien que Bourguiba… Thaâlbi ? (Re) connaîs pas !
La zizanie s’installe entre les deux familles et à l’intérieur de chacune des familles.
Il faudra beaucoup de temps pour se trouver un autre ancêtre commun. A moins que l’on remonte à Elyssa, comme le proposerait « Si El Béji » par exemple !
Adel Lahmar