Alors que l’été bat son plein, une statistique continue de déranger les spécialistes des ressources hydriques : la Tunisie se classe au 4ᵉ rang mondial en consommation d’eau en bouteille par habitant. Un chiffre inchangé depuis 2023, révélateur d’un désaveu croissant envers l’eau du robinet, et d’une gestion publique en panne.
« La consommation moyenne annuelle d’eau en bouteille atteint 244 litres par personne, ce qui représente un coût mensuel de 135 à 140 dinars pour une famille tunisienne moyenne », a rappelé Hussein Rehili, expert en gestion des ressources, lors de plusieurs interventions récentes.
Une somme qui pèse lourd sur les budgets familiaux, mais qui traduit une réalité plus profonde : l’effritement de la confiance dans le service public de l’eau. Malgré une légère amélioration des niveaux des barrages cette année (40 % de remplissage contre 27 % l’an passé), le pays reste durablement classé en situation de stress hydrique, avec moins de 400 m³ consommés par personne chaque année – loin des 700 à 900 m³ standards recommandés.
Une eau publique à la qualité dégradée
Le rapport de l’Organisation tunisienne pour les droits économiques et sociaux, publié en septembre 2023, avait déjà mis en cause la défaillance du service public, pointant une détérioration de la qualité bactériologique des échantillons distribués par la SONEDE : 10,1 % de non-conformité en 2020 contre 9,9 % en 2019.
Ce déficit de fiabilité, cumulé à une communication institutionnelle défaillante, a nourri la ruée vers l’eau embouteillée. Un marché florissant : 30 unités de production réparties sur 13 gouvernorats, avec une concentration notable à Kairouan (6 unités), Zaghouan (5) et Siliana (4).
Le paradoxe est frappant : alors que l’État appelle à rationaliser la consommation, il multiplie les autorisations d’exploitation industrielle, y compris dans les zones agricoles en tension hydrique. Les agriculteurs, eux, peinent à obtenir l’accès à la ressource, selon l’OTDES.
Un choix structurel à faire
La banalisation de l’eau en bouteille en Tunisie ne relève donc pas d’un simple choix de confort, mais d’une contrainte imposée par la faiblesse des infrastructures et l’érosion de la qualité du service public.
À l’heure où le changement climatique amplifie les inégalités d’accès à l’eau, la Tunisie doit trancher : renforcer l’accès équitable à l’eau potable ou continuer à déléguer la soif au secteur privé. Car derrière les bouteilles, c’est l’État qui se désengage.