Selon des indiscrétions qui ont pu filtrer de la fameuse réunion numéro II à Dar Dhiafa, c’est le duo Nejib Chebbi et Maya Jeribi qui ont, en définitif, enterré l’idée d’un gouvernement de technocrates en proposant de revenir à celle plus problématique du gouvernement d’union nationale.
Ce revirement de la part de ce duo est étonnant, d’autant plus que ces deux dirigeants juraient ne vouloir en aucune façon faire partie d’un gouvernement d’unité nationale et même, dit-on, le leader historique du PPD, est allé jusqu’à se payer le luxe de refuser le portefeuille des Affaires étrangères.
Monsieur Chebbi, dont le parcours n’a jamais été linéaire ; baâthiste puis maoïste puis nationaliste arabe d’obédience socialiste et enfin démocrate de centre gauche, n’est pas ce qu’on peut appeler un modèle de constance dans les opinions.
Au début des années 2000, le leader du PDP avait tranché la question du rapport des islamistes avec la démocratie en affirmant que ces derniers avaient fait leur aggiornamento. Fort de cette conviction, il ouvrit les colonnes d’El Mawkef et les portes de son local et permit à nombreux parmi les ex-islamistes d’adhérer à son parti.
En 2005, il entama avec quelques figures islamistes ou proches de cette mouvance (Mohamed Nouri, Samir Dilou, Hichem Hajji) et d’autres, plutôt progressistes (Ayachi Hamami, Hamma Hammami) la fameuse grève de la faim à l’occasion du Sommet Mondial sur la Société de l’Information.
Une fois levée, cette grève de la faim allait donner naissance au fameux mouvement du 18 Octobre dont le document fondateur scellait l’union sacrée entre les différentes composantes de l’opposition tunisienne et énonçait sans ambigüité les valeurs communes qui formeraient le socle des revendications futures.
Dans ce fameux document signé entre autres par Ali Laârayedh, le parti Ennahdha se ralliait sans réserves aucunes aux principes de la démocratie représentative, de l’universalité des droits de l’homme, du respect total du code du statut personnel et des droits de la femme en général.
Bref, Ahmed Nejib Chebbi détenait après plusieurs tentatives le précieux sésame celui de l’«aggiornamento idéologique des islamistes», outil indispensable pour s’ériger en leader unique d’une opposition rassemblée et unifiée.
La suite, on la connait, la révolution du 14 Janvier ayant complètement bouleversé le paysage politique et le PDP est revenu à sa vraie dimension, à savoir un parti important du paysage politique mais ne pouvant pas rivaliser avec le terrible rouleau compresseur nahdhaoui. Ce dernier, ayant à la faveur de la révolution réussi à se restructurer et à rapatrier son contingent de transfuges ayant en majorité migré au PDP.
Nejib Chebbi, quant à lui, est sorti fortement malmené de son passage dans les gouvernements Ghanouchi I et II. Outre ce discrédit qu’il a eu à subir du fait d’avoir participé à ces deux gouvernements, le leader du PDP a eu à subir des attaques très violentes de la part du CPR et d’Ennahdha au motif que son parti bénéficiait d’une manne financière aux origines douteuses et de la présence massive de «rcdistes recyclés» dans son parti.
L’allié d’hier, le protecteur même, est devenu en deux temps trois mouvements l’ennemi juré… Ni Laârayedh ni Chourou, ni Abbou, ni Mekki qui étaient pourtant inscrits sans discontinuer dans l’agenda des causes prioritaires d’El Mawkef, organe du PDP, n’ont levé le petit doigt pour laver l’honneur de l’homme et du parti qui leur a tendu la main.
Loin s’en faut, Nejib Chebbi et ses camarades ont reçu une rafale de critiques acerbes et un flot d’invectives de la part de leurs ex-alliés. Les élections ont eu lieu et bien qu’ayant limité la casse au niveau des sièges gagnés, le PDP n’avait pas le poids suffisant pour négocier dans une position de force des portefeuilles gouvernementaux. Conscient de ce rapport de force, le PDP choisit d’être dans l’opposition et de mener un combat sans relâche à la coalition majoritaire portée aux commandes de l’Etat.
En effet, en changeant d’appellation après sa fusion avec le parti Afek, l’ex PDP n’a pas manqué une seule occasion de porter la contradiction à la troïka… jusqu’a un certain lundi 18 février, où semble-t-il le duo Nejib et Maya semble même… être tenté… de flirter à nouveau avec les islamistes !… Le tout, bien-sûr, au nom de la sacro sainte union nationale.
L’attitude très conciliatrice affiché par ce duo lors de la réunion du lundi à Dar Dhiafa ajoutée au déjeuner très amical du même jour de Nejib Chebbi avec Houcine Jaziri dans un restaurant des Berges du Lac (rencontre très détendue au point qu’on les croirait copains comme cochons) ne laissent aucun doute sur la suite du programme… Nejib Chebbi semble vouloir se « ben jaafiriser », tenté qu’il est de goûter enfin au volumineux gâteau promis par Mister Moncef Marzouki…
La grande militante Maya Jribi courageuse sur tout, mais toujours prisonnière du respect révérencieux qu’elle porte à son ainé semble ne pouvoir rien faire pour stopper ce rapprochement dangereux avec les ex-alliés des années de braise.
Espérons que tout cela ne soit que des supputations de coulisses… sans lendemain… Car si ces bruits qui courent s’avèrent justes, bonjour la catastrophe, déjà avec la troïka limite «gabegie», alors imaginez un quartette ou une quintette au pouvoir… Là c’est le bazar intégral assuré !