Le régime institutionnel de la nouvelle république a divisé la classe politique entre partisans du parlementarisme à l’anglaise et fervents défenseurs du régime présidentiel à l’américaine.
Entre les deux, plusieurs députés affichent une préférence pour un régime présidentiel aménagé à la française dit aussi parlementarisme rationalisé. Seulement, l’avant projet de constitution qui a circulé dans les médias n’y fait aucune allusion. Dans ce projet, la polémique s’est réduite à un choix entre un régime parlementaire où l’essentiel des pouvoirs est entre les mains du Parlement et le régime présidentiel qui ne reconnaît de véritables prérogatives qu’au chef de l’État élu au suffrage universel.
Réellement, le débat oppose les représentants du mouvement Ennahdha dont les cadres et militants ont insisté lors du dernier congrès sur l’adoption du régime parlementaire et les élus de l’opposition démocrate qui soutiennent le régime présidentiel. Les deux parties ont un intérêt particulier dans leur choix respectif. Le parlementarisme que cherche à imposer le mouvement Ennahdha est un choix basé sur une orientation politique majoritaire, un vote collectif qui incite souvent au populisme. Alors que le présidentialisme met en compétition des hommes et des programmes dont le choix tient généralement compte du profil, du charisme et des aptitudes à la gouvernance.
Ce débat s’est traduit par l’insertion dans le projet de deux versions diamétralement opposées dont ci-après les plus importants points de divergence.
Divergences au niveau de l’élection du président de la République ( Article 45 )
Les partisans du parlementarisme prévoient l’élection du Président de la République par le Parlement à la majorité des deux tiers sinon à la majorité absolue des députés représentant les partis politiques occupant les première et seconde places.
Dans un certain nombre de pays qui ont adopté ce régime, un tel mécanisme conduit soit à la dictature de la majorité parlementaire en vertu de la confusion des pouvoirs entre leurs mains (Italie) soit à des blocages institutionnels lorsque la majorité requise pour l’élection du président fait défaut (Liban). L’Angleterre qui est le précurseur du parlementarisme dans le monde, ne s’en est sortie que grâce à une véritable liberté de presse et une culture démocratique ancrée au quotidien. En Tunisie, on en est encore loin.
Pour les défenseurs du régime présidentiel, le président de la République doit être élu directement par le peuple. Ce mode institutionnel confère suffisamment de légitimité au chef de l’État en vertu de son élection au suffrage universel. Mais, il peut générer des dysfonctionnements lorsque le président de la République n’appartient pas au parti qui détient la majorité dans le parlement (rejet des projets de loi présentés par le président, motions de censure contre le gouvernement …)
En France, les solutions envisagées pour pallier à ces dysfonctionnements ont été la mise en place de mécanismes de cohabitation permettant au chef de l’État de gouverner de concert avec une majorité parlementaire nonobstant sa couleur politique. Le cas échéant, la constitution lui permet de provoquer des élections législatives anticipées pour s’assurer une majorité confortable dans le Parlement.
Divergences au niveau de l’étendue des pouvoirs (Articles 31,32, 34 et 37)
Les représentants du mouvement Ennahdha prévoient d’attribuer tous les pouvoirs au Parlement et à la majorité parlementaire. Les députés ont la priorité absolue de proposer des projets de loi dans tous les domaines à l’exception de ceux se rapportant à la ratification des conventions internationales et du budget de l’État. Ils peuvent apporter des modifications aux projets soumis par le président de la République. Le chef de l’État n’a que certains pouvoirs qui ne diffèrent pas tellement de ceux qui sont actuellement reconnus au Président de la République provisoire. Pire encore, il peut être démis de ses fonctions à la demande des députés alors que les partisans du régime présidentiel n’envisagent cette possibilité qu’en cas de haute trahison.
Les tenants du présidentialisme proposent une répartition des pouvoirs en faveur du Président du chef de l’État, presque à l’instar de celle qui figure dans la constitution de 1959.
Divergences au niveau des dispositions relatives au gouvernement ( articles 65, 66,71,72 et 73)
En vertu de la version favorable au régime parlementaire, la fonction du premier ministre est attribuée au candidat du parti majoritaire. L’intervention du Président dans ce cadre n’est que protocolaire. En outre, le chef du gouvernement est le chef du pouvoir exécutif qui prend toute décision inhérente à la marche des affaires de l’État. La nomination des membres du gouvernement, la création et la suppression de départements ministériels sont de son seul ressort.
La version soutenue par les partisans du régime présidentiel donne l’entière liberté au président de désigner le chef de gouvernement auquel il est simplement attribué un pouvoir réglementaire.
Aux deux versions figurant dans le brouillon de la constitution s’ajoute une troisième qui a été totalement ignorée dans le projet quoique largement défendue dans les milieux politiques et par plusieurs députés de l’assemblée. Il s’agit du régime présidentiel aménagé qui cumule les avantages des deux autres régimes (le parlementaire et le présidentiel), favorise une répartition équilibrée des pouvoirs et renforce la légitimité de détenteurs du pouvoir.