Du revers de la main S&P nous a relĂ©guĂ©s au rang des pays Ă risque spĂ©culatif. Pourtant sa vision n’a pas Ă©tĂ© partagĂ©e par les autres notateurs. « Elle est sĂ©vère » a mĂŞme martelĂ© Nabli. Mais le mal est dĂ©jĂ fait. Les bailleurs de fonds effrayĂ©s pour des cas similaires, ont pris l’habitude de ne plus prĂŞter qu’au prix fort et encore (6% pour l’Italie Ă 10 ans, 7% pour l’Espagne, 11% pour le Portugal et jusqu’Ă 30% pour la Grèce). En tout cas, les banques europĂ©ennes qui ne veulent plus entendre parler de crise de la dette ne trouvent personne qui voudrait en acheter encore.
Mais S&P n’a peut ĂŞtre pas pensĂ© qu’avec des notes si handicapantes, elle pourrait brouiller les cartes dans ce monde global en perpĂ©tuelle compĂ©tition. Indirectement (?) elle a suscitĂ© l’intĂ©rĂŞt des nouveaux acteurs Ă potentiel financier qui Ă peine Ă©mergĂ©s, attendaient dĂ©jĂ une telle occasion tout Ă fait propice pour monter en surface en pays bailleurs de fonds alternatifs et nouer des relations de coopĂ©ration avec ces pays dits de la « zone spĂ©culation ».
La montée en puissance des nouveaux bailleurs de fonds
Pourtant sur le long terme, ces pays qui se libèrent des dictatures, reprĂ©sentent les grands changements dans un monde nouveau oĂą la notion de pays riches et pays pauvres est dĂ©jĂ en train de migrer vers une nouvelle redistribution. Ces pays qui amorcent l’avènement de la dĂ©mocratie arabe ou autres, en lesquelles les États-unis tiennent comme mordicus, pourraient trouver alors dans le support amĂ©ricain, l’alternative du besoin de financement nĂ©cessaire Ă la rĂ©ussite de leur printemps. Mais comment et Ă quel prix?
La Turquie qui, toute gĂ©nĂ©reuse, annonce un prĂŞt d’un demi milliard de dollars Ă 1,5% d’intĂ©rĂŞts assorti d’une donation de 100 millions de dollars pour la Tunisie, suscite des interrogations. MĂŞme le Qatar ne nous a pas consenti autant en exigeant 2,5% et rubis sur l’ongle. Il n’y a que l’Allemagne qui peut sortir sur le marchĂ© obligataire europĂ©en avec 1,5% Ă 10 ans. Pas mĂŞme la France, après sa dĂ©gradation S&P qui a emportĂ© avec elle Sarkozy&Co…
Certes, la Turquie, vous le savez, est au 16ème rang des performances Ă©conomiques sur 200 pays que compte le globe. Tant pis si l’Europe ne veut pas d’elle. C’est la mĂ©diterranĂ©e qu’elle vise maintenant en se propulsant chef de file des pays des rives sud et en rajoutant l’Eurasie oĂą elle se situe. C’est pour elle un juste retour Ă l’histoire de ce vaste espace qu’elle dominait autrefois d’Est en Ouest. Avec une croissance du Pib fluctuant dans une fourchette aujourd’hui rare d’entre 5 et 8%, contre 0,5% pour l’Europe, elle peut monter en puissance et se permettre de nous octroyer un crĂ©dit si avantageux, surtout sous couvert de la garantie des Etats Unis. C’est tout juste que nous devons apprendre la langue Turque et signer quelques contrats exclusifs avec elle Ă en considĂ©rer les reprĂ©sentants du gouvernement, ayant fait le dĂ©placement, qui ont rencontrĂ© plusieurs hommes d’affaires (turcs notamment) et investisseurs Ă©trangers pour les encourager Ă venir investir en Tunisie dans plusieurs domaines.
C’est que les AmĂ©ricains ont compris que n’y pouvant rien contre Standard and Poor’s, ont voulu amortir la rigueur de la notation infligĂ©e Ă la Tunisie. Non seulement ils nous assurent de leur soutien en se portant garant pour nos emprunts, les voici qui nous gratifient d’un prĂŞt de 100 millions de dollars Ă petit prix. Mais pourquoi tant de bontĂ©?
La mise en route du projet MENA-EURASIE ?
Il faut prendre conscience que cet Ă©tĂ© les rĂ©publicains dĂ©cideront de leur candidat pour les prochaines Ă©lections aux Etats Unis. La Tunisie aussi minuscule soit-elle est un pays emblĂ©matique qui a eu la chance (le mĂ©rite?) d’amorcer le changement dĂ©mocratique de toute une rĂ©gion oĂą les enjeux abondent dans tous les sens. Politique (IsraĂ«l-Palestine), Economique, BioĂ©nergie (Solaire, PĂ©trole…). Or, prendre en main le processus de cette amorce et la rĂ©ussir est crucial pour Obama s’il veut garder sa place Ă la maison blanche pour un deuxième mandat. Devant une Europe qui se dĂ©bat dans la crise de la dette, pour encore un bon bout de temps, c’est une aubaine pour l’AmĂ©rique d’intervenir dans cette rĂ©gion jusque là « terrain rĂ©servé » de l’Europe alors que ce fameux projet d’intĂ©gration Euro-Med marque le pas et demeure en panne, la crise de la dette bloquant sa concrĂ©tisation.
La Turquie, qui vient de rĂ©unir sur les rives du Bosphore avec brio, le Forum Ă©conomique mondial (WEF-Davos) est alors un vĂ©hicule idĂ©al pour que sous les auspices des États-unis, elle prenne en main cette nouvelle zone qui s’Ă©tale d’Est en Ouest jusqu’aux confins de l’Eurasie. VoilĂ de quoi comprendre les dessous de la visite de la gouvernance turque, depuis dĂ©jĂ la fin de la première transition BCE.
La moralitĂ© de cette histoire, c’est qu’il n’y a rien pour rien. C’est toujours du donnant-donnant et c’est lĂ que rĂ©side le vrai prix Ă payer. Ce prix c’est peut ĂŞtre un changement radical du dĂ©cors traditionnel, centrĂ© sur l’Europe. La Turquie, ancien empire de la rĂ©gion, boostĂ©e par l’AmĂ©rique, prĂ©tend y jouer le rĂ´le alternatif. Mais en dĂ©plaçant nos relations vers l’Est de la mĂ©diterranĂ©e, n’encourons nous pas de nouveaux dĂ©fis? La question mĂ©rite rĂ©flexion tant il est vrai que nous ne sommes pas prĂ©parĂ©s Ă un tel changement si radical. Face Ă une Europe qui se dĂ©sagrège et qui ne peut plus assumer ses rĂ´les historiques, les moteurs de la relance Ă©conomique que sont les nouveaux pays Ă©mergents, sont-ils une alternative de circonstance ou une solution durable comme semble vouloir indiquer les États-unis, en train de dresser la nouvelle carte d’influence qui lui prĂ©servera son leadership dans la rĂ©gion?