L’Assemblée Nationale Constituante a été le théâtre d’une pièce de bien mauvais goût, une sorte de farce politico-parlementaire, pendant la semaine écoulée, avec «l’invitation» lancée à la ministre du Tourisme, Amel Karboul, et au ministre auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la sécurité, Ridha Sfar, afin de les questionner et de voter une motion de censure à leur encontre.
On doit, tout d’abord, affirmer que cette attribution accordée par la loi constitutionnelle relative à l’organisation des pouvoirs publics, issue des élections du 23 octobre 2011, est conforme au texte. Autrement dit, l’ANC dispose du pouvoir de contrôler l’action du gouvernement et de tous ses membres en les invitant à s’expliquer devant les «députés du peuple», acte qui permet aux ministres concernés de pouvoir répondre à ses interrogations. La réponse de l’ANC peut, soit se résumer à l’écoute et à quelques observations ou éclaircissements de la part des membres du gouvernement, soit aboutir à un vote défiance à leur égard.
Les deux ministres concernés, Amel Karboul et Ridha Sfar, avaient donc fait l’objet d’une demande de motion de censure contre eux de la part de 80 élus, appartenant, notamment, au courant islamiste, et leur appendice ainsi que quelques autres, afin de faire voter cette défiance et entraîner leur limogeage du gouvernement.
Le tort de ces deux ministres consista en leur autorisation à des touristes venus, dans le cadre de croisières, visiter notre pays pendant quelques heures et portant la nationalité israélienne. Les explications des deux responsables gouvernementaux concernés ont été très claires : ces touristes bénéficient de laisser-passer qui leur permet de fouler le sol tunisien pendant quelques heures, et ne se présentent pas aux autorités douanières ou policières avec des documents de voyage, autrement avec des passeports israéliens. Il s’agit d’une pratique administrative qui existe depuis de nombreuses années, et qui n’avait provoqué, par le passé et notamment sous le gouvernement de la Troïka, d’aucune espèce de contestation.
Sans nous insinuer dans ce débat émotionnel et démagogique relatif à la position à l’encontre de l’entité sioniste, et où nos «valeureux élus» paraissent défendre des positions plus radicales que les Palestiniens toutes tendances confondues, cette motion de censure apparaît beaucoup plus s’intégrer dans une démarche politicienne avec une surenchère qui préfigure les prochains débats au sein de cette «vénérable» assemblée. Elle dénote aussi du double langage employé par ses initiateurs comme peut le montrer l’issue de cette démarche à l’encontre des deux ministres.
D’un côté, ils entendent s’ériger en défenseurs, par principe, de la cause palestinienne nous répétant qu’ils représentent la conscience du peuple tunisien, lequel a toujours affirmé son soutien inconditionnel à nos frères palestiniens. Ensuite, et par le retrait de la motion de censure à la suite de la séance d’audition d’Amel Karboul et de Ridha Sfar, ils veulent apparaître comme des élus «responsables» qui ne souhaitent pas plonger le pays dans une nouvelle crise politique qui aurait pu emporter ce gouvernement issu du dialogue national. En effet, on aurait mal vu Mehdi Jomaa accepter la remise en cause de ses deux ministres et une démission collective était l’issue la plus logique en cas d’un vote positif en faveur de cette motion de censure, d’autant plus que la majorité exigée pour ce type de situation était le 3/5ème des députés.
En fait, toute cette «mascarade» était surtout destinée comme une véritable mise en garde des élus de la majorité à l’encontre du gouvernement de Mehdi Jomaa, sonnant comme un avertissement pour lui démontrer qu’il demeure toujours sous la coupe de la Troïka. Ceci explique, d’ailleurs, la lenteur du gouvernement dans la réalisation du processus et de la feuille de route se rapportant à plusieurs aspects, à l’instar des nominations partisanes afin d’assurer la neutralité de l’administration ou à la position à l’égard des «ligues de protection de la révolution».
En retirant leur motion de censure par ceux-là même qui l’ont présentée, ses initiateurs témoignent de leur opportunisme politique. Ils voulaient seulement titiller les «instincts» du peuple et son côté passionnel pour mettre en difficulté ceux qui défendraient les ministres et leur approche pragmatique de cette question. D’ailleurs, cette action a eu des conséquences directes sur le secteur, puisque plusieurs croisières qui permettaient de relancer, un tant soit peu, le secteur touristique nécessaire à la reprise économique, sont déjà annulées.
Autrement dit, l’ANC est devenue contre-productive, ce qui renforce l’opinion qui remet en cause sa légitimité et sa permanence. Et ce n’est pas un hasard si les élus de Sidi Bouzid ont été «dégagés» de «leur ville» par les citoyens, tant leur image est devenue insupportable pour bon nombre de Tunisiens.
Il est évident que l’on ne peut accorder un blanc-seing au gouvernement de Mehdi Jomaa, mais il convient, aussi, de lui permettre une certaine marge de manœuvre afin qu’il puisse relever quelques défis à caractère économique et résoudre quelques problèmes sociaux urgents. Car, et sans cela, on ne peut aspirer à la paix civile, la condition sine qua none, pour organiser, rapidement, des élections et cela dans une atmosphère démocratique.
L.L.