Je ne sais pas par quel phénomène expliquer que des femmes puissent voter une telle proposition de loi ! La commission des droits et des libertés chargée de rédiger la constitution « révolutionnaire » est régie par le principe de parité, il y avait donc autant de femmes que d’hommes dans cette commission, cela n’a pas empêché une proposition de loi misogyne , dégradante et rétrograde d’être votée à douze voix contre huit !
Cependant, un mot a retenu l’attention de plus d’un dans la proposition qui a été adoptée, c’est le mot complémentarité : Il est dit dans la proposition que l’état assure la protection des droits de la femme et des ses acquis SOUS LE PRINCIPE DE LA COMPLÉMENTARITÉ avec l’homme, au sein de la famille et en tant qu’associée à l’homme dans le développement de la patrie .La femme n’est identifiée selon cette formulation qu’en rapport avec l’homme,ses droits et ses acquis ne seront garantis que si elle est complémentaire de l’homme, associée à lui et au service de la patrie !
En gros et sans raccourci, la femme est un sous-homme !
Revenons au mot par lequel le scandale arrive, complémentarité : linguistiquement parlant, la complémentarité est le substantif de l’adjectif complémentaire .L’un des sens de ce substantif
est le lien d’interdépendance entre deux phénomènes.
Pour l’adjectif, la définition première est illustrée dans le dictionnaire par cette citation de Proudhon : l’homme et la femme, étant complémentaires l’un à l’autre (…) forment par leur union un organisme très-positif, très-réel, très-concret, nullement abstrait, mais d’ordre supérieur.
La recherche par synonymie quant à elle ne donne que des termes péjoratifs : accessoire, supplémentaire,additionnel, auxiliaire, subsidiaire …
L’homme et la femme sont complémentaires, certes, mais de là à ne garantir les droits de la femme et ne consolider ses acquis que lorsqu’elle complète l’homme,ou est complétée par lui, il y a matière à douter des intentions de ceux qui ont proposé cette formule . Aragon se retournerait dans sa tombe !!
Ceux qui ont voté cette proposition ont ôté à la femme sa citoyenneté et de ce fait, elle n’est plus l’égale de l’homme comme le stipule l’article 22 avec lequel cette formule est en contradiction totale. Ce dernier ne dit -il pas clairement que » « les citoyens sont égaux dans leurs droits et leurs libertés et « devant » la loi, sans discrimination d’aucune sorte ».
De plus, les femmes (ou plutôt les filles ) qui ne complètent rien et ne sont complétées par personne, celles qui ont choisi le célibat ou celles qui le subissent, qui leur garantit leurs droits? Où les placer dans le projet sociétal esquissé dans cette formule ? Et quelle sera la qualification des femmes des deuxième, troisième ou quatrième noces si jamais la polygamie viendra à être instaurée ? Seront -t-elles des « compléments supplémentaires »? Qu’en sera-t-il des veuves et des divorcées ? Pourquoi cet acharnement du parti Ennahdha et de certains de ses alliés à avilir la femme et à occulter son rôle dans la société ? Pourquoi ne la reconnaître en tant que citoyenne à part entière qu’en la rattachant à une entité supérieure, à savoir l’homme ? Admettons qu’il n’y ait aucune sournoiserie dans cette formulation, ne revient-elle pas à admettre que l’homme aussi est incomplet et qu’il a besoin lui aussi d’un COD ? Alors, pourquoi ne pas énoncer la réciprocité dans la formulation?
Toute fois, il est à noter que ce sujet de polémique est parti d’un texte de la députée Salma Mabrouk, traduit de l’arabe, et que la version en langue arabe est différente de la traduction, malgré son ambiguïté. La proposition sera soumise au vote lors d’une séance plénière pour être promulguée ,il est donc du devoir des femmes, de la société civile, de l’opposition et des forces vives du pays d’être vigilants, de ne pas baisser la garde pour ne pas permettre d’inscrire une loi discriminatoire qui assoit la dépendance de la femme.