En apparence, la manifestation organisée le 24 février 2012 devant le siège de l’Etablissement de télévision tunisienne est une réaction suite à la diffusion sur la chaîne Nationale d’un refrain d’une chanson faisant l’éloge du 7 novembre. Au demeurant, diffusion condamnable à tout point de vue d’autant plus qu’elle n’est pas la première du genre depuis le 14 janvier. Les responsables de la programmation sur cette chaîne devaient donc prendre suffisamment de mesures pour que de telles inadvertances ne se reproduisent plus et ce, pour des considérations de principe et par respect à la révolution du peuple tunisien .
Mais dans le fond, cette diffusion dont le côté scandaleux ne doit pas être nié a servi d’alibi pour manifester contre la liberté d’expression qui a commencé à prendre forme dans le paysage médiatique et audiovisuel et qui semble déranger certaines parties dans le pouvoir . Les représentants de la Troïka et particulièrement la majorité au pouvoir n’ont pas apprécié la couverture des événements sur les plans social et économique qui démontrent que le pays n’est pas en train d’avancer dans le sens des promesses électorales et des engagements politiques. Doit-on dès lors taire certaines vérités blessantes, se limiter aux réalisations, s’il y a lieu, et ressusciter la langue de bois pour plaire aux gens du gouvernement ?
Dans des déclarations émanant du Président de la République et de certains responsables gouvernementaux et proches du régime, l’accent a été mis sur la dramatisation des événements qui donne une mauvaise image de la Tunisie au détriment de la réputation qu’elle s’est constituée grâce à la révolution du 14 janvier, de l’investissement et de la coopération avec l’étranger. Le message est donc d’occulter toute information et tout événement en rapport avec la vague des mouvements de contestations sociales et les dangers que représentent les forces rétrogrades qui veulent faire revenir le pays au moyen âge.
C’est dans ce même sens que s’est exprimé M. Rached Ghannouchi lors de la conférence de presse organisée le 23 février par son mouvement. Dans une réponse à une question sur la situation de la liberté de la presse, M. Ghannouchi qui s’est prononcé contre l’incarcération des journalistes, a insisté sur l’objectivité de la prestation médiatique et l’assainissement du secteur à commencer en premier lieu par la publication de la liste des journalistes corrompus. Rappelons à ce dernier propos qu’une commission a été créée en novembre 2011 par le syndicat national des journalistes tunisiens pour arrêter cette liste qui comprend les exhorteurs et les apologues zélés de l’ancien régime. Seulement, dans le contexte où elle a été formulée, cette critique de la part du chef spirituel du mouvement ENNAHDHA est un autre alibi pour justifier les prises de position à l’égard de la presse et des journalistes.
L’appel à la manifestation organisée au lendemain de cette conférence de presse n’est pas étranger à ces prises de position où l’on reproche aux media leur partialité et leur subjectivité. D’ailleurs, les slogans scandés démontrent que le mobile des manifestants ne se réduit pas au refrain d’une chanson faisant l’éloge du 7 novembre mais concerne le contenu d’une programmation qui met en exergue le vécu quotidien des démunis et des couches sociales vivant en deçà du seuil de la pauvreté, présente la réalité des mouvements sociaux et dénonce l’obscurantisme.
La présence massive des salafistes à la manifestation symbolise l’insatisfaction des adeptes de ce mouvement qui a fait des siennes à Sejnane, Bir Ben Khélifa et tout dernièrement à Jendouba. La dénonciation de leurs manœuvres par les médias a également déplu au gouvernement qui les accusent d’avoir amplifié l’événement.
Cette manifestation n’est pas sans rappeler les marches de la honte organisées autrefois par le RCD chaque fois qu’un mouvement politique ou social se déclenchait dans le pays. Le régime de Benali qui était à court d’arguments pour convaincre le peuple et la communauté internationale se servait de ses troupes pour simuler des campagnes de soutien en faveur du dictateur et d’indignation à l’encontre de l’opposition et des militants des droits de l’homme.
La seule différence est que à l’époque, les miliciens étaient payés pour manifester contre ceux qui réclamaient la liberté de presse. De nos jours, les partisans et les sympathisants sont invités à manifester contre ceux qui exercent cette liberté .