La énième augmentation des prix des carburants ne laisse pas de place au doute : nos concitoyens sont, aujourd’hui, de plus en plus persuadés que l’Etat suspendra les subventions à court ou à moyen terme. A l’horizon 2026, le sucre, les pâtes, le lait, l’huile végétale et le pain seront vendus à leur prix réel.
La levée des subventions n’est plus de ces sujets tabou qu’il est malséant d’évoquer. Aujourd’hui, tout le monde en parle : gouvernement, organisations nationales, citoyens, médias, politiques et bailleurs de fonds étrangers. Chacun a, par ailleurs, sa perception de la chose, et le sujet, à bien des égards, partage plus qu’il ne rassemble.
Ce n’est plus qu’une question de temps !
Le Tunisien s’accommode-t-il de la hausse continue des prix des produits subventionnés ? Peut-être ! En tout cas, pour le gouvernement, la réforme, quand bien même impopulaire, n’est plus prise avec des pincettes.
Elle est débattue publiquement, et semble même entérinée, du moins sur le papier à travers le document envoyé par les pouvoirs publics au FMI, condition sine qua non pour un nouveau programme d’aide en faveur de la Tunisie.
A vrai dire, le compte à rebours n’a pas commencé aujourd’hui, il a commencé il y a deux ans. Après le sucre en 2020, le lait à deux reprises en 2021, les carburants d’une façon périodique – trois ajustements en 2022 – il est acquis que les autres produits subventionnés connaîtront la même trajectoire dans les semaines ou les mois à venir.
Cette action pourrait, d’ailleurs, être accélérée si la situation des finances publiques se dégrade davantage ou si la guerre en Ukraine se prolonge indéfiniment. La hausse du prix du blé, du pétrole et d’autres matières premières sur les marchés internationaux se traduira sine die par des hausses de prix localement. Autant dire que le pire est à venir.
Devant cette spirale inflationniste, le citoyen observe, pour l’heure, un silence perplexe. Est-il convaincu qu’il doit apporter sa pierre à l’édifice ? Le fait-il par compassion avec le pouvoir en place, persuadé que ce legs est le fruit de la décennie noire des islamistes et qu’il faut donner le temps au gouvernement actuel pour qu’il rétablisse un tant soit peu la situation ? Serait-ce le silence qui précède la tempête ? Ou est-ce de la résignation pure et simple ?
Un pas semé d’embûches…
Ceci dit, tout le monde est d’accord sur le fait que le pays passe par une conjoncture difficile et que les solutions manquent terriblement au gouvernement Bouden. Mais ceci ne doit pas le pousser à se jeter dans la gueule du loup et faire compromission avec le FMI sur cette question combien brûlante des subventions.
Nous cautionnons, tous, les réformes, mais que l’institution de Bretton Woods conditionne son aide à la Tunisie à des contraintes qui compromettent notre souveraineté et portent atteinte à la paix sociale est un pas que le gouvernement ne doit pas franchir.
De plus, la thèse que la subvention doit bénéficier aux gens qui en ont le plus besoin, défendue par les pouvoirs publics, est-elle fiable ? Cette réforme pourra-t-elle entrer en vigueur sous peu ? Si oui, quelle catégorie de ménages en bénéficiera ? A-t-on répertorié les familles nécessiteuses ? La classe dite moyenne est-elle concernée par la subvention ou en sera-t-elle exclue ?
Du point de vue pratique, comment procèdera-t-on à l’identification des personnes qui sont dans le besoin ? Va-t-on distribuer des cartes aux personnes « admissibles » ? Ce procédé ne risque-t-il pas d’être assimilé à un acte ségrégationniste et contribuera-t-il à attiser les frictions entre les catégories sociales ?
De plus, avec le niveau de l’inflation qu’est le nôtre actuellement, pensez-vous que le Tunisien pourra s’aligner, dans trois ou quatre ans, sur les prix réels, autrement dit sur les prix du marché ?
Mis à part 5 à 10% de la population qui vit dans le confort, quelles catégories pourront acheter, dans quelques mois, le litre d’essence à 6 dinars, la farine à 4 dinars, l’huile végétale à 3 dinars et le pain à 1 dinar ?
A notre humble avis, le pas que franchira le gouvernement est semé d’embûches et risque de mener le pays vers l’inconnu. La devise de la délégation qui mènera aujourd’hui les discussions avec les responsables du FMI, qui comprend, entre autres le Gouverneur de la BCT, doit être dextérité et perspicacité. Et Maroaune Abassi s’y connaît heureusement en devises !
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 18/04/2022