Décidément, rien ne va plus en Tunisie. Chaque jour apporte son lot de peine et on se réveille chaque matin, avec ce sentiment d’avoir fait une révolution pour rien.
Un gigantesque incendie par ici, une manifestation de chômeurs diplômés réprimée par la police par là, une ville qui s’insurge, une autre qui entre en grève générale, routes coupées, avions cloués au sol, et tout cela, sur fond de cherté de vie jamais connue, de climat d’insécurité et de banditisme croissants et de dérive salafiste grandissante.
Le Tunisien est à bout de souffle. Une vague de pessimisme général est ressentie surtout chez les jeunes, certains pensent sérieusement à quitter le pays, comme au temps de Ben Ali.
Une incompréhension totale, un goût d’amertume et un sentiment que la révolution a été volée, si ce n’est qu’elle n’a jamais eu lieu, ou qu’une contre révolution est en marche.
Face à cela, l’attitude du gouvernement est à déplorer, la troïka se mure dans une posture d’auto défense et ne pense qu’à se maintenir dans un environnement hostile. De tergiversations en atermoiements, elle a démontré son incapacité à gérer les crises, la notation de Standard & Poor’s le dit si bien; ce gouvernement est incapable de relancer l’économie. Dans un autre registre, le rapport annuel d’Amnesty International révèle de nombreuses exactions et atteintes aux droits de l’homme.
Sur les plateaux de télévision et dans les tribunes des journaux, les membres du gouvernement et les élus de la Troïka sont comme frappés d’autisme. Ceux d’Ennahdha nous chantent encore et toujours la ritournelle de la légitimité et le refrain de la victimisation, usés et consommés jusqu’à la lie. Ceux du CPR (ou du moins, ce qu’il en reste) sont déjà partis en campagne électorale prématurée, toujours avec le leitmotiv cher à leurs cœurs de combattre la corruption et leur chasse aux sorcières du RCD. Ceux du FDTL brillent par leur silence quand ils ne brillent pas par leur ridicule.
Dans une langue de bois qu’ils maîtrisent à la perfection, ils se dérobent aux questions cruciales qu’on leur pose. À l’évocation des grèves et des manifestations, ils accusent syndicats, opposition et société civile. On leur parle de laxisme ou d’inertie, ils répondent médias et manipulation. On leur rappelle les chômeurs et les blessés de la révolution, ils citent crise économique et manque de moyens. On les questionne sur l’ingérence ou l’influence de certains pays, ils crient légitimité, identité.
De plus, le conflit idéologique, trop longtemps attisé par les partis au pouvoir comme par l’opposition, a fini par lasser. Les débats houleux de l’assemblée constituante qui n’a jusque-là rien constitué, ne passionnent plus, et la classe politique tombe de jour en jour dans le populisme et la médiocrité.
Et quand ce pauvre tunisien désorienté se tourne vers l’opposition, susceptible de le sortir de ce marasme, que trouve-t-il ?
Des partis éclatés en mille morceaux, des querelles fratricides, une incapacité à se rassembler et à rassembler, une faiblesse de proposition et un manque de charisme !
La société tunisienne, exsangue, assiste au hold-up de sa révolution au profit d’une instrumentalisation idéologique pour laquelle elle ne s’est pas battue, attend avec impatience de voir la fin de tous ces errements, mais sa patience aura-t-elle des limites ? Finira-t-elle un jour par voir le bout du tunnel?