Selon toute vraisemblance, le Président de la République s’est rendu à l’évidence qu’il ne peut pas faire de l’économique sans le politique et c’est dans cette logique que son discours a changé. Le refrain de la souveraineté des décisions tunisiennes, repris, ces derniers temps, à l’envi, à chaque allocution, et l’accent inquisiteur à l’égard des organisations internationales, laissent la place, aujourd’hui, à des propos cadrant mieux avec les usages diplomatiques.
Serait-il venu le temps de la réflexion pour Kais Saied en matière de politique extérieure après qu’il a dévié, à notre sens, de la ligne de conduite et des fondamentaux qui l’ont toujours caractérisée ? Il est permis de le penser si l’on en juge par le changement de ton dans son discours, devenu, à bien des égards, plus réfléchi et moins offensif même s’il manque toujours de doigté.
Retour aux sources
Plusieurs indices plaident en faveur de ce revirement de situation. Primo, la nomination d’un(e) chef(fe) de gouvernement peut être perçue par l’extérieur comme étant un premier pas vers un retour à la constitutionnalité. Secundo, le Chef de l’Etat a multiplié, ces derniers temps, les entretiens téléphoniques avec des dirigeants du monde pour s’affranchir du « cocon familial » dans lequel il s’est maladroitement enfermé.
Tertio, les visites effectuées par Najla Bouden – en Arabie Saoudite, le 24 octobre dernier, et celle qu’elle effectue actuellement en France pour participer au « Forum de Paris sur la paix », à la conférence internationale sur la Libye et à la célébration du 75ème anniversaire de la création de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) – témoigne, s’il en est, de la volonté du Chef de l’Etat de réintégrer la scène internationale après une période d’isolement qu’il aurait jugé préjudiciable pour l’avenir de la Tunisie.
A l’évidence, Kais Saied s’est rendu, également, à l’évidence que le salut de la Tunisie, financièrement parlant, ne viendra que de l’extérieur, non pas par le biais des crédits bilatéraux comme il l’aurait souhaité, à tort d’ailleurs, mais par l’entremise des bailleurs de fonds internationaux, à leur tête le FMI.
Les promesses de la part de l’Algérie, de l’Arabie Saoudite ou encore des Emirats Arabes Unis semblent se confronter à des considérations stratégiques auxquelles l’Oncle Sam n’est pas étranger.
Nous sommes persuadés, par ailleurs, que la reprise des négociations, quand bien même timides avec le Fonds Monétaire International, ne sauraient aboutir que si les Etats-Unis d’Amérique, qui sont le contributeur principal du Fonds, donnent leur feu vert.
L’étau se resserre
Une chose est sûre : le Président de la République n’a pas l’embarras du choix en matière de financement des ressources de l’Etat. L’élan manifesté par les autochtones dans l’opération de souscription à l’emprunt national n’est qu’une goutte dans l’océan. Le Budget de l’Etat est en butte à un déficit énorme que l’effort national ne peut, à lui seul, résorber.
Et Kais Saied en est, aujourd’hui, convaincu ; c’est pourquoi il s’affaire, autant que faire se peut, à changer d’attitude vis-à-vis de l’extérieur, un monde impitoyable dans lequel l’intégrité et la probité, qualités chères au Président Saied, n’ont pas lieu d’être.
Peut-être devrait-il méditer sur l’empereur de Rome, Vespasien, duquel on tient l’expression « l’argent n’a pas d’odeur ». Non pas en installant des toilettes publiques payantes dans tout l’empire tunisien pour gagner de l’argent (tiens, c’est pas mal comme idée !), mais en s’entourant de conseillers chevronnés, versés dans les arcanes des affaires publiques et ayant, surtout, la parole facile.
Chahir CHAKROUN
Tunis Hebdo du 15/11/2021