Depuis quelques jours, et alors que le ministère de l’Intérieur semble reprendre la main sécuritaire un peu partout dans le pays, Rached Ghannouchi est désormais présent sur tous les fronts et monte en première ligne face aux médias. Fait révélateur, cette omniprésence du leader d’Ennahdha qui intervient alors que son parti fait bloc autour de la loi d’immunisation de la révolution.
De plus, Ali Laarayedh à la tête du gouvernement semble redorer le blason tunisien avec son action diplomatique pendant que, par quelques déclarations ciblées, Hamadi Jebali est parvenu à effacer les bévues de Moncef Marzouki tout en s’affirmant comme un sérieux candidat pour la présidence.
Ce nouveau déploiement des ténors d’Ennahdha tend à rompre l’isolement de ce parti qui a connu un remarquable recul depuis son arrivée au pouvoir. Alors que l’ANC de Ben Jaâfar piétine selon le bon vouloir des députés nahdhaouis, alors que Moncef Marzouki déçoit de plus en plus, seule l’action du gouvernement institue un pôle vertueux dans la grisaille de la Troika.
Et c’est précisément en bénéficiant de cet appel d’air que Ghannouchi, et à un degré moindre Jebali et Mourou, montent en première ligne.
Passablement gêné par ses rapports avec les salafistes et autres fous de Dieu, Ghannouchi a d’abord multiplié les déclarations apaisantes et les condamnations du djihadisme armé. Ayant suffisamment marqué sa nouvelle position, il se déploie dorénavant dans les médias tunisiens et étrangers pour affirmer la primauté d’Ennahdha dans le paysage politique tunisien. Ce faisant, il continue à se démarquer des faucons de son parti et, plus important, il brise le monopole de Beji Caid Essebsi dans sa dimension de sage de la patrie.
C’est en quelque sorte un nouveau Ghannouchi, ayant revu sa copie et tentant de se rapprocher du ventre mou de l’électorat tunisien qui est en train de naitre sous nos yeux. L’homme cherche clairement à rassurer, tout en sortant de son armure d’islamiste droit dans ses bottes.
Ainsi, Ghannouchi n’hésite plus à prendre les accents de Ben Ali pour affirmer que «Ennahdha est la colonne vertébrale de la Tunisie», «qu’il n’existe aucune alternative à Ennahdha» ou que ce parti dominera l’échiquier politique pour longtemps.
Cette nouvelle présence médiatique, selon un mode à la fois exigeant et conciliant, est nouvelle pour Rached Ghannouchi. Elle annonce, selon nous, un tournant dans la communication d’Ennahdha et préfigure les rôles dans ce parti pour la nouvelle étape.
Pour en savoir plus, le public pourra découvrir ce lundi à midi un entretien avec Ghannouchi qui sera diffusé en exclusivité sur les ondes de la radio Shems FM.
Les observateurs pourront également méditer la dernière déclaration du chef d’Ennahdha à swissinfo dans laquelle il affirme qu’il n’y a point de salut en Tunisie en dehors d’une «coalition entre islamistes modérés et modernistes modérés pour les cinq prochaines années».
Reste à savoir si toutes les ouvertures calculées de Ghannouchi sont à mettre sur le compte du double langage dont il est un expert ou sur celui d’une nouvelle page qui est en train de s’ouvrir dans les relations des islamistes avec les Tunisiens dans leur ensemble…