L’abondance des dollars sur les pays pétroliers, a capitalisé une immense épargne qui devient disponible en provenance de pays qui affichent leur fidélité, aux principes de la charia en matière de finance. Or, le principe numéro un de la finance islamique, dont la plupart des autres découlent, est que le prêt à intérêt, le « riba» est interdit…. Et partant, les relations commerciales, qui se développent dans toute société, doivent se faire sur la base d’un « partage équitable des risques et des profits entre les parties prenantes », que d’un financement avec rémunération fixe quel qu’en soit le résultat de l’investissement. Sauf qu’en langage moderne, le financement de l’économie doit se faire plutôt sous forme de fonds propres, que sous forme de dettes, à la limite en équilibre.
À ce jour, aucun cadre juridique spécifique à ce produit n’existe en Tunisie. Mais ailleurs, cela existe et se développe même, surtout depuis la crise des subprimes où les fonds venus du Moyen-Orient étaient, et le sont encore, la bienvenue pour une Europe exsangue, même s’il faut les travestir, de parades juridiques pour les différencier, de l’endettement rémunéré à taux fixe.
Une première en Tunisie
À son tour, le projet du budget de l’État tunisien, au titre de l’année 2013, sera financé en partie par des sukuk islamiques, d’un montant de l’ordre de 1000 millions de dinars (1 milliard de dinars)! Pour Slim Besbes cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’élaboration d’un cadre légal régissant le financement islamique, insistant sur l’impératif de diffuser une nouvelle culture et adopter un environnement juridique qui englobe toutes les sources de financement, afin d’instaurer une complémentarité entre le financement direct et celui indirect… Mais ces « sukuk » (pluriel de « sakk », lui même à l’origine du mot chèque), c’est quoi au juste ? Tentons une explication.
Il faut savoir que le contrat le plus courant, pour répondre à ce besoin, la « mourabaha », est très proche d’un contrat de crédit-bail. En clair, vous voulez un prêt de votre banque pour acheter un bien d’équipement ? Formellement, la banque sera au départ propriétaire du bien à acquérir, et vous fera racheter par annuité le bien en question au montant initial de l’emprunt, plus un « profit » prédéterminé, sous forme de commissions. Ces commissions seront égales aux intérêts qu’aurait pris la banque dans un contrat de prêt classique.
D’autres parleront plutôt de similitude avec le certificat d’investissement. On rappellera que le certificat d’investissement en droit tunisien résulte du démembrement d’une action en deux éléments: le certificat d’investissement qui donne droit au dividende et le certificat de droit de vote qui présente les autres droits d’une action. Les sukuk seraient donc des certificats qui donnent droit au dividende sans être une action. Sauf, si le titulaire souhaite devenir actionnaire au sens plein, et dans ce cas, il pourrait acheter le certificat de droit de vote sur le marché et ainsi remembrer l’action. Cela dépend du contrat entre les pourvoyeurs de fonds et les débiteurs en besoin de financement, car dans ce cas les Sukuk se transformeraient en « moucharaka » (actionnariat) dans le capital du débiteur.
Éthique et morale islamiques
Un peu de recul est utile pour comprendre ce système qui se base sur la morale. Si un ami vous demande un coup de main financier (mais qui reste mineur) vous trouverez probablement inconvenant de demander un intérêt sur le prêt. Or la communauté des croyants, dans la religion musulmane, est une famille (« umma »). Comment concevoir dès lors des relations sociales fondées sur le « riba » ?
Les religions monothéistes chrétienne et juive interdisent par principe l’intérêt. Or, il a fallu attendre le XVIIe siècle pour que la notion d’« intérêt », dans un sens moral plus large, redonne sa légitimité au taux d’intérêt et à la « responsabilité limitée » qui corrige une partie de l’asymétrie entre actionnaire et créancier, ce en limitant les droits du créancier au seul projet, et non à l’ensemble du patrimoine du débiteur. Les mêmes accommodements se retrouvent aujourd’hui dans la finance islamique.
Il faut que le montage soit « charia compliant », ce qui suppose une dose d’ingénierie et l’assentiment par un homme de la foi (imam de la « charia board ») qui font que les banquiers empochent des commissions de montage tout comme les « notateurs » qui en autorisent le feu vert. En réalité, lesdites commissions sont la contrepartie du « travail » de faisabilité. Ce n’est pas à proprement parler, un intérêt, c’est tout au plus un accommodement rémunéré qui « comble le vide ».
Astuces et/ou « hyial » d’accommodation?
Il faut toutefois prendre conscience que par la « charia compliance » ainsi que la notation, le coût du capital s’en trouve accru, ce qui est un frein au développement des pays appliquant strictement la charia financière. Le microcrédit par exemple, a du mal à décoller dans ces pays, sans autre abondance de ressources, comme chez nous. Récemment , le gouverneur de la banque centrale a proposé de créer une structure de notation au sein de la BCT. Il est vrai que recourir à des agences de notation du type Moody’s ou S&Pr’s c’est couteux.
Doit-on s’insurger pour autant ? Au fond, l’inventivité de la finance islamique est la bienvenue. Elle montre qu’on peut toujours s’arranger d’un texte, fût-il sacré, en faisant usage de « hyial »…sachant que le contrat financier le plus courant était au départ, la « mokhatra»,contrat par lequel je vous vends un objet, mettons à 1.100 dinars payables à un an, et vous le rachète immédiatement à 1.000 dinars en cash. L’astuce dans ce cas, permet de dégager un intérêt de 10 % !…Mais quand bien même astuce, ce maquillage « juridique » ne peut être convaincant pour tous. Car beaucoup y trouvent une forme d’hypocrisie…
Moralité de cette histoire, c’est que si la finance islamique encourage à trouver des petits arrangements avec des textes discutables, qu’elle en soit pardonnée, car, un prêt à intérêt est un prêt à intérêt quel qu’en soit la parade. Sukuk ou pas sukuk, les « hyial » n’y pourront rien changer quant au fond. Voilà pourquoi, les Occidentaux y ont plongé corps et âme.