Alors que la précarité de l’emploi reste au cœur des revendications sociales en Tunisie, le Parlement s’apprête à débattre d’un projet de loi explosif. Adopté ce vendredi 16 mai 2025 par la Commission de la santé et des affaires sociales, ce texte vise à réformer en profondeur les pratiques d’embauche et à éradiquer la sous-traitance dans certains secteurs. La mesure, saluée par les syndicats, inquiète fortement le patronat.
Le député Raouf Fekiri, rapporteur de la commission, a annoncé que le projet de loi introduit une mesure inédite : l’interdiction pure et simple de la sous-traitance dans les domaines de la sécurité et du nettoyage, deux secteurs historiquement marqués par une forte précarité.
« Les entreprises devront désormais embaucher directement leurs agents de sécurité ou de propreté. Il ne sera plus permis de déléguer ces tâches via des sociétés intermédiaires », a-t-il précisé lors de son passage sur Express FM.
Des sanctions exemplaires pour les contrevenants
Ce durcissement législatif s’accompagne de peines lourdes pour les employeurs contrevenants. Toute entreprise recourant illégalement à la sous-traitance s’exposera à une amende de 10 000 dinars, avec des peines de prison de 3 à 6 mois prévues en cas de récidive.
Une sévérité qui marque une rupture avec la souplesse du cadre actuel, où la sous-traitance, même critiquée, restait largement tolérée.
Le projet de loi entend également réduire drastiquement le recours aux contrats à durée déterminée (CDD). Ces derniers ne seront autorisés que dans trois cas précis : les travaux saisonniers (notamment dans l’agriculture et le tourisme) ; le remplacement d’un salarié absent ; les pics temporaires d’activité.
En dehors de ces situations, le contrat à durée indéterminée (CDI) devient la norme. La période d’essai est, elle aussi, encadrée : limitée à six mois, renouvelable une seule fois.
Autre nouveauté d’envergure : la rétroactivité de certaines mesures. Tout salarié licencié à partir du 14 mars 2025 – date de dépôt du projet de loi – sera réputé en CDI de plein droit, sauf preuve du contraire. Cette disposition, inscrite à l’article 6 des clauses transitoires, pourrait entraîner une vague de requalifications de contrats et rouvrir d’anciens contentieux.
Cette réforme s’inscrit dans le prolongement des déclarations du président Kais Saied, qui avait dénoncé à plusieurs reprises la sous-traitance comme un “système d’exploitation des plus faibles”. Le chef de l’État avait promis de “mettre fin à cette injustice” et d’ancrer le droit au travail digne dans les textes. Ce projet, porté par le gouvernement sous sa houlette, concrétise cette promesse politique.
Vote décisif, le 20 mai
Face à ce durcissement, les organisations patronales expriment leurs craintes. La CONECT (Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie) a notamment demandé la suppression des peines de prison, tout en acceptant une augmentation des amendes. Plusieurs chefs d’entreprise redoutent une explosion des charges salariales, une rigidité accrue du marché de l’emploi, et une baisse de compétitivité dans les services externalisés.
Ainsi, la plénière du mardi 20 mai 2025 s’annonce cruciale. Si le texte est adopté, il bouleversera l’économie des services, les pratiques de gestion du personnel, et les règles du droit du travail. Il redessine en profondeur la frontière entre flexibilité et précarité.