Comme prévu, le premier ministre, Hamadi Jebali, s’est adressé hier soir au peuple tunisien en livrant une interview à la première chaîne de télévision nationale. Tous ceux qui ont attendu cette interview pour avoir des réponses claires sur les questions brûlantes qui préoccupent l’opinion publique et suscitent le désarroi dans nos contrées, chez nos partenaires dans la région et ailleurs, sont restés sur leur faim. À part la ferme condamnation des instigateurs de l’attaque contre l’ambassade américaine et l’engagement de l’État à poursuivre ceux qui sont impliqués dans les actes de barbarie, les positions exprimées par le premier ministre sur les médias et la situation sociale et économique dans le pays ont été la reproduction pure et simple de ses discours et déclarations antérieures.
La date du 23 octobre ne semble pas donner des sueurs froides. En effet, Hamadi Jebali balaie, d’abord, du revers de la main les conclusions de ceux qui remettent en cause la légitimité de l’ANC ou du gouvernement, critiquant la position de M. Caid Essebsi ainsi que celle des experts juridiques, puis il semble rejeter tout élargissement du gouvernement à moins d’un consensus. Et sur ce plan, Hamadi Jebali ne manqua pas de louer, de manière étonnamment élogieuse, l’initiative de l’UGTT et le rôle que la Centrale syndicale pourrait jouer dans la concorde nationale. Or, il faut rappeler que cette initiative avait été torpillée par le gouvernement et Ennahdha qui ne lui avaient pas donné suite à l’époque.
Au sujet de l’attaque de l’ambassade américaine, les vrais coupables seront poursuivis un à un quelles que soient leur appartenance politique et leurs motivations. Ces derniers appartenant à des groupes extrémistes ont plongé le pays dans une situation critique et délicate au nom de la protection du prophète et de la Chariâa. Au sujet de ces groupes extrémistes, et pour ne pas appeler un chat par son nom, Jebali a évité de les pointer directement. Tantôt il a dit d’eux « pour ne pas dire des salafistes », d’autres fois il a dit « les salafistes entre guillemets ».
Au sujet donc des « salafistes », le premier ministre s’est déclaré scandalisé à la vue des images de jeunes et moins jeunes transportant des ordinateurs après avoir incendié et saccagé le siège de l’ambassade et l’école qui lui est rattachée. Il a ajouté que ces images ne font pas honneur à la révolution du peuple tunisien et ne servent pas ses intérêts avant de préciser que les autorités disposent des moyens permettant d’identifier les fauteurs et les casseurs et de leur faire assumer leur responsabilité.
Mais d’un autre côté, le premier ministre rejette une part de responsabilité sur les extrémistes occidentaux qui ont dénigré les musulmans en portant atteinte à leur religion et à leur prophète. Ce dénigrement a suscité la réaction des radicaux islamistes qui ont cédé à la provocation. Il a estimé que la diffusion du film incriminé et la publication sur Charlie Hebdo de caricatures offensantes représentant le prophète Mohamed ( SAW), visent au fond les pays « du Printemps arabe » pour faire avorter le processus transitionnel. Le relâchement sécuritaire dans ces pays et le climat des libertés qui a commencé à s’y installer est un terrain favorable à la violence et au chaos.
S’agissant de la prestation des forces de l’ordre, Hamadi Jebali a remis en cause l’insuffisance des moyens et l’inadéquation du dispositif légal qui ne protège pas suffisamment les agents de sécurité auxquels il a donné raison et a trouvé des excuses à leur attitude laxiste dans certains événements. Il a souhaité la non-implication des forces de l’ordre et de sécurité dans les conflits politiques.
À propos du gouvernement, le premier ministre s’est opposé à la désignation de personnalités indépendantes à la tête des ministères de souveraineté (Intérieur, Justice et Affaires étrangères) considérant que les ministres actuels agissent en hommes d’État et ne tiennent pas compte des intérêts de leur parti dans leurs décisions.
Abordant la question des médias et les conflits avec les gens de la presse, le premier ministre a déclaré, encore une fois, que le gouvernement n’a pas de mainmise sur le secteur et qu’il n’intervient pas pour imposer une ligne éditoriale ou pour empêcher les journalistes de s’exprimer. Seulement, il considère que la nomination des responsables à la tête des entreprises de presse relève de ses attributions et que dans tous les pays et dans toutes les législations du monde, les journalistes ne sont pas associés dans la désignation des directeurs des médias publics de la même manière que l’État n’est pas associé dans les syndicats de presse.
Concernant, enfin, les questions économiques et sociales, le premier ministre a évoqué un entretien qu’il vient d’avoir avec Mme Widad Bouchamaoui, secrétaire général de l’UTICA, qui lui a fait part des craintes des hommes d’affaires. D’après le premier ministre, l’argent existe en Tunisie, en quantité suffisante, mais il n’est pas déployé dans des investissements rentables à cause de la réticence et des hésitations des détenteurs de capitaux qui font l’objet de suspicion et de mesures d’interdiction. Il prévoit une solution rapide et radicale en mettant en examen les corrompus et en impliquant les autres dans des projets d’intérêt général, sans passer nécessairement par le processus de justice transitionnelle.
Ne terminons pas sans signaler que l’affaire qui fait la Une en Tunisie, la question de la jeune fille violée et accusée, a été complètement éludée. Aucune question, et bien sûr, aucune réponse…