La Chine multiplie les projets en Tunisie, à un rythme jamais vu auparavant. Infrastructures, industrie, tourisme, santé : les domaines d’intervention se diversifient, à mesure que Tunis et Pékin raffermissent leurs liens. Si certains y voient une aubaine, d’autres s’interrogent sur les véritables retombées de cette présence chinoise. Décryptage d’une dynamique en pleine expansion.
Depuis la visite du président tunisien en Chine à la fin du mois de mai 2024, la coopération bilatérale a franchi un cap. Ce déplacement a permis de formaliser un partenariat stratégique global, ouvrant la voie à une intensification des échanges économiques et politiques.
Sur le terrain, les projets se concrétisent rapidement. Parmi les plus emblématiques, le nouveau pont de Bizerte, long de 2,1 kilomètres, est en cours de construction par le groupe chinois Sichuan Road and Bridge Group. Ce projet vise à moderniser l’accès au nord du pays et à fluidifier le transport maritime.
Dans le domaine du sport, la réhabilitation du stade olympique d’El Menzah bénéficie d’un financement chinois. En parallèle, des entreprises chinoises s’intéressent au secteur automobile, avec des projets d’implantation d’usines de fabrication de pièces détachées en Tunisie.
Sur le plan industriel, outre les gisements de sels qui vont etre explorés par les Chinois, un groupe chinois est sur le point d’acquérir une cimenterie tunisienne pour plus de 100 millions de dollars. C’est l’un des plus gros investissements directs chinois récents dans le pays.
Le secteur du tourisme n’est pas en reste : la Tunisie ambitionne d’attirer 30 000 touristes chinois en 2025, contre 20 000 l’année précédente. Pékin soutient également la création de centres culturels et éducatifs, à l’image de l’Institut Confucius de Sousse ou de projets d’hôpitaux universitaires, notamment à Sfax.
Une comparaison avec d’autres pays africains
La Tunisie n’est pas un cas isolé. Depuis une décennie, la Chine est devenue l’un des principaux investisseurs sur le continent africain. Des projets colossaux ont vu le jour dans plusieurs pays :
- Au Kenya, la Chine a financé la ligne ferroviaire Nairobi–Mombasa, une infrastructure majeure pour le pays.
- En Éthiopie, les Chinois ont investi dans les chemins de fer, les routes et les barrages hydroélectriques.
- En Guinée, en Ouganda et au Gabon, des barrages, ports et autoroutes sont sortis de terre grâce à des crédits chinois.
Ces investissements ont permis de combler le déficit en infrastructures, de créer des emplois et de stimuler la croissance. Toutefois, plusieurs pays africains ont également connu des effets secondaires préoccupants : endettement élevé, projets peu rentables, manque de transfert technologique, et conditions de travail parfois discutables.
Quels impacts ?
En Tunisie, les investissements chinois ont déjà permis la création de milliers d’emplois, notamment dans le bâtiment et l’industrie. Les projets en cours s’attaquent à des secteurs structurels délaissés depuis des années : transports, énergie, infrastructures sportives ou encore santé.
Mais certains économistes appellent à la vigilance. La dépendance à un seul partenaire économique peut fragiliser la souveraineté du pays. En outre, la transparence autour des appels d’offres et des clauses contractuelles reste floue. Il est aussi essentiel de veiller à ce que les emplois créés bénéficient aux Tunisiens et que les entreprises locales soient intégrées dans les chaînes de valeur.
Derrière les investissements visibles dans les ponts, les stades ou les usines, la Chine poursuit en Tunisie une stratégie plus large, mêlant avantages économiques et rayonnement culturel. Ce que Pékin recherche, ce n’est pas uniquement un marché, mais un partenaire stratégique dans la région méditerranéenne, à la croisée de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient.
Que veut la Chine de la Tunisie ?
Sur le plan économique, la Tunisie constitue un point d’entrée potentiel vers les marchés européens, grâce à ses accords préférentiels avec l’UE. Sa main-d’œuvre qualifiée et ses infrastructures portuaires – comme le futur port en eaux profondes d’Enfidha – intéressent particulièrement les groupes chinois qui souhaitent délocaliser ou exporter plus rapidement vers l’Ouest.
Mais au-delà de l’économie, Pékin déploie un véritable soft power en Tunisie, dans une logique d’influence culturelle. L’ouverture d’un Institut Confucius à Sousse, la multiplication des bourses d’études pour étudiants tunisiens, ou encore la diffusion croissante de programmes audiovisuels chinois en langue arabe sont autant d’exemples de cette stratégie d’enracinement culturel.
Plus récemment, des programmes de visites encadrées pour journalistes tunisiens en Chine se sont multipliés, souvent financés par le gouvernement chinois ou des agences liées au Parti communiste. Ces voyages visent à façonner une image favorable de la Chine et à tisser des liens avec les acteurs clés de l’opinion publique. Pour Pékin, la Tunisie n’est pas seulement un chantier, c’est aussi un média, un relai et potentiellement un allié diplomatique dans les enceintes internationales.
Dans cette optique, la Chine soigne sa communication, insiste sur le respect de la souveraineté tunisienne, et se présente comme une alternative bienveillante face aux anciennes puissances coloniales ou aux conditionnalités des institutions occidentales.
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