Chaque 1er Mai, les discours fleurissent. On célèbre le labeur, on honore les travailleurs, on promet de meilleures conditions, on brandit la dignité par le travail comme un étendard national. Mais derrière les banderoles et les allocutions officielles, une question persiste, sourde, presque taboue : le Tunisien est-il vraiment bosseur ?
Entendons-nous : il ne s’agit pas ici de juger un peuple à l’aune de quelques clichés, mais de poser une interrogation de fond. À quoi ressemble aujourd’hui notre rapport au travail ? Est-il motivé par l’exigence, la rigueur, le goût de bien faire ? Ou s’inscrit-il de plus en plus dans la logique du moindre effort, du système contourné, du « chghol mchi » tant banalisé ?
D’un côté, on voit des Tunisiens qui triment, dans les champs, les ateliers, les hôpitaux, ou dans les couloirs surchargés d’une administration. De l’autre, on constate des retards chroniques, des absences sans justification, une productivité en berne, et une culture du travail parfois dévalorisée.
La vérité est sans doute entre les deux. Car le Tunisien sait travailler, et le prouve chaque jour dans l’informel, dans l’exil, dans l’adversité. Mais pourquoi cette énergie ne se traduit-elle pas toujours dans l’espace public, dans les services, dans les entreprises, dans les administrations ? Serait-ce le cadre qui bride les ambitions ? Le manque de reconnaissance ? L’absence de perspectives ?
Alors, est-ce le Tunisien qui a changé, ou est-ce le cadre dans lequel il travaille qui l’a usé ? Est-ce que l’effort est encore reconnu ? Est-ce que le mérite paie ? Ou est-ce qu’on a laissé s’installer, insidieusement, l’idée que seul le piston ou la débrouille permettent d’avancer ?
Le 1er Mai devrait être l’occasion, non seulement de défendre les droits des travailleurs, mais aussi de réhabiliter la valeur du travail lui-même. Celui qui construit, qui élève, qui transforme. Pas le travail subi, routinier ou dénaturé, mais celui qui donne sens, qui relie, qui fait société.