La baisse du prix du pétrole est-elle une aubaine pour la Tunisie ? La récente baisse des prix du pétrole sur le marché international pourrait représenter un soulagement immédiat pour l’économie tunisienne, mais ses effets à long terme risquent d’être beaucoup moins favorables. La Tunisie pourrait, certes en tirer des bénéfices budgétaires notables, mais sous conditions. C’est ce qu’estiment deux économistes.
Un soulagement à court terme, un risque à long terme pour la Tunisie
La récente baisse des prix du pétrole sur le marché international pourrait représenter un soulagement immédiat pour l’économie tunisienne, mais ses effets à long terme risquent d’être beaucoup moins favorables. C’est ce qu’a estimé hier l’économiste Bassem Ennaifer, dans une déclaration à l’agence TAP.
Il explique que, dans l’immédiat, cette baisse permettrait à l’État de réaliser des économies substantielles – environ 162 millions de dinars selon les estimations du budget 2025 – notamment grâce à la réduction de la facture énergétique et à l’appréciation du dinar face au dollar. Cependant, cette dynamique ne saurait compenser les impacts négatifs d’une possible récession mondiale, particulièrement en Europe, principal partenaire commercial de la Tunisie.
Ennaifer souligne que le budget de l’État ne dépend pas uniquement des cours pétroliers. La création de richesse, la performance des entreprises et les recettes fiscales restent des piliers essentiels, or ceux-ci pourraient être affaiblis par une économie mondiale en ralentissement. La chute des exportations d’huile d’olive cette année et les tensions commerciales internationales affectant les industries tunisiennes d’exportation constituent déjà des signaux d’alerte.
Concernant les perspectives budgétaires, l’économiste considère qu’une révision de la loi de finances 2025 serait prématurée. Il rappelle qu’en Tunisie, les lois de finances rectificatives interviennent traditionnellement en fin d’année. Les hypothèses actuelles, notamment une croissance prévue de 3,2%, apparaissent toutefois ambitieuses compte tenu du contexte mondial incertain.
Interrogé sur une éventuelle baisse des prix des hydrocarbures à l’échelle nationale, Ennaifer juge qu’une telle décision serait peu opportune. Malgré la baisse des prix à l’international, l’État n’a pas augmenté les tarifs à la pompe depuis deux ans afin de préserver le pouvoir d’achat, ce qui a accru sa charge en subventions. Réduire les prix maintenant pourrait affecter les recettes fiscales attendues du secteur énergétique, qui sont estimées à 587 millions de dinars en 2025. Il préconise donc d’attendre une stabilisation des cours mondiaux avant de modifier la politique des prix intérieurs.
En somme, si la baisse du pétrole représente un avantage budgétaire immédiat, ses répercussions à moyen et long terme pourraient fragiliser l’économie tunisienne, dans un contexte international de plus en plus incertain.
Une aubaine budgétaire fragile
L’économiste Ridha Chkoundali estime, de son côté que la Tunisie pourrait tirer des bénéfices budgétaires notables de cette forte baisse des cours du pétrole, mais sous conditions. C’est ce qu’il a expliqué dans un entretien accordé à l’agence TAP.
Il rappelle que le budget de l’État pour 2025 a été établi sur une hypothèse de prix du baril de Brent autour de 74 dollars. Or, si le baril reste à 65 dollars jusqu’à la fin de l’année, cela pourrait permettre au pays de générer un excédent budgétaire pouvant atteindre 1260 millions de dinars. Chaque dollar en moins sur le baril représente, selon lui, un gain de 140 MD pour les finances publiques tunisiennes.
Mais cet avantage reste conditionné à la réalisation du taux de croissance prévu par la loi de finances. Chkoundali insiste sur l’importance de maintenir l’activité économique pour permettre à l’État de faire face à ses obligations, notamment le remboursement de la dette extérieure et la garantie des importations stratégiques.
Il alerte également sur le fait que cette baisse, bien qu’opportune à court terme, pourrait avoir des conséquences négatives sur l’investissement dans l’exploration pétrolière. Des entreprises américaines auraient déjà annoncé leur intention de freiner leurs activités si les prix se maintiennent en dessous de 65 dollars, ce qui remettrait en cause la rentabilité des projets dans ce secteur.
Ridha Chkoundali prévient enfin qu’en cas de poursuite de cette dynamique baissière, combinée à une aggravation des tensions douanières, le monde pourrait faire face à une crise économique majeure, potentiellement plus sévère que celle induite par la pandémie de Covid-19. Un scénario qui impacterait forcément la Tunisie, malgré les gains budgétaires apparents.
Rappelons qu’après l’annonce récente de droits de douane américains, les marchés pétroliers sont entrés dans une phase baissière marquée, perdant plus de 20% en quatre jours. Une chute brutale qui a ramené les prix à leurs niveaux les plus bas depuis 2021. Hier, le baril de Brent reculait de 29 cents (-0,45%) à 64,47 dollars, tandis que le WTI cédait 27 cents (-0,44%) à 61,23 dollars. Selon Reuters, les deux indices ont perdu près de 10 dollars depuis le début du mois, sous l’effet des inquiétudes grandissantes autour de la croissance mondiale.