J’habite non loin du cimetière des martyrs du 9 avril et j’ai déjà raconté l’état d’abandon dans lequel se trouve ce mémorial de la cause nationale tunisienne. Cela me fait penser à la fameuse chanson : « Zourouni kolli sana mara » ( Visitez-moi une fois par an).
Une porte d’accès branlant, des herbes folles partout, des petits loubards qui profitent de l’incurie pour venir s’y défoncer et honorer des prostituées sans domicile fixe, des ivrognes qui viennent se soulager dans ces lieux sans gardien de nuit ni surveillant de jour.
Dans ce mémorial qu’une plaque de marbre en arabe désigne comme celui des martyrs du 9 avril, il n’y a même pas de drapeau national ni aucune attention pour ces militants tombés sous les balles du Protectorat alors qu’ils revendiquaient une constitution pour la Tunisie.
Comme nous avons la mémoire courte et comme nous sommes imprudents avec les symboles de notre souveraineté…
On crée un mémorial puis on l’abandonne. Ainsi va la vie et ainsi l’oubli guette tout martyr. En fait, les martyrs de 2010 et 2011 commencent à être oubliés. Ce n’est que ces derniers jours que les premiers pas positifs ont été faits en ce qui les concerne.
Pour revenir au triste mémorial du 9 avril, chaque année, un ou deux jours avant la fête nationale, une brigade municipale débarque sur les lieux et maquille le quotidien des lieux à coups de bêche, de pinceaux et de peinture fraiche.
Comme cela, l’illusion est parfaite et les responsables peuvent venir se recueillir tout en ne sachant pas où ils sont et quel était l’état des lieux avant leur visite.
Comme quoi même une révolution n’a pas changé ces habitudes coupables. On délaisse les lieux durant un an et on fait le ménage avant la visite de la haute hiérarchie. Tout ça, c’est bel et bien du déjà vu…
Ce pauvre cimetière des martyrs mériterait un tout autre traitement. Et ceux qui viendront y réciter la Fatiha ce lundi devraient ressentir de la culpabilité, car la chaine des responsabilités mal germées fait qu’ils sont les responsables ultimes de cette situation et de l’hypocrisie des commémorations qui s’y déroulent.
Mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir, car personne ne visite jamais ce cimetière qui se trouve a quelques pas du Djellaz. Le haut du panier préfère le mémorial du Sejoumi ou celui de Bizerte, plus présentables et plus convenables lorsqu’il s’agit de convoquer la presse, la teille et les cadres qui n’encadrent que leur médiocrité.
Ce matin, je suis allé avec une caméra sur les lieux. Pour ne pas insulter la mémoire des martyrs, je ne vous montrerai pas l’état des lieux avant le nettoyage. Sachez simplement que plusieurs camions comme celui qu’on peut voir sur la vidéo ont été nécessaires. Sachez aussi qu’une dizaine de travailleurs ont été nécessaires pour rendre un semblant de propreté.
Voici donc sous vos yeux le mémorial de nos martyrs relooke pour les besoins du 9 avril. Il n’y a pas de quoi pavoiser!
Le provisoire de Carthage qui nous la joue simple pourrait faire un crochet ici lundi prochain. Un tel geste rehausserait son image aux yeux de beaucoup de Tunisiens qui ne croient ni en ses gesticulations ni en sa manière de feindre l’humilité.
Au fond, le sieur Marzouki commémore comme le faisait Ben Ali et avant eux Bourguiba. Mécaniquement, en se souciant d’abord de la galerie et de la stratégie de communication dessinées par des conseillers qui voudraient faire passer les vessies de la fatuité pour les lanternes de la compassion.
En tout cas, j’irai lundi me recueillir dans ce cimetière abandonné, loin des caméras et de la société du spectacle. Me recueillir devant les martyrs du 9 avril avec à l’esprit le souvenir encore vivant de ceux de 2012.
Et, je le sais par expérience, lundi, il y aura un drapeau et un mémorial qui semblera entretenu avant de retomber dans l’oubli pour 364 jours…