A l’appel de Asma Ahmadi et Salma Bouraoui, des citoyens tunisiens se sont rendus aujourd’hui au mausolée de Saida Mannoubia, qui avait été profané au courant de la semaine dernière. Par cette action de solidarité spontanée, des Tunisiens ont voulu faire revivre le mausolée comme à l’accoutumée, afin que la tradition ne s’interrompe pas, et ont tenu aussi à faire passer un message; celui du refus de la violence, de l’attachement à nos coutumes et traditions culturelles, et de tolérance.
Matelas, tapis, oreillers, ont été offerts par des anonymes, mais aussi des Corans, des bougies, du sucre, de la nourriture, une petite pièce de monnaie ou une simple présence réconfortante. Allumer des cierges, prendre une photo, se recueillir un instant, recueillir un témoignage ou échanger quelques mots avec les occupants du mausolée avait suffi à leur redonner de l’espoir.
Beaucoup d’émotion aussi, devant le désarroi des 25 familles qui vivaient des visites du mausolée, de leur chagrin de voir le tombeau de leur sainte profané, et devant cet élan de solidarité. Larmes, youyous et surtout une envie de parler. Les gardiennes du marabout n’arrêtaient pas de crier leur indignation face à ce fâcheux acte de vandalisme, elles n’avaient jamais connu une telle situation, « même pas sous le protectorat français », nous disait la plus âgée de toutes.
Cette action citoyenne de solidarité est une façon comme une autre pour exprimer l’attachement des Tunisiens à leurs traditions et coutumes, à leur spécificité culturelle, une façon de dire leur refus de cette nouvelle « pensée » venue d’ailleurs qui tend à faire table rase de notre identité et de la remplacer par une autre.
Les marabouts ont de tout temps fait partie de notre paysage cultuel et religieux. Dr Bouraoui Saloua l’explique très bien dans un article sur les marabouts qu’elle a publié le 20 octobre 2012, et dont voici un extrait :
« Saida el Manoubia, une Femme à la forte personnalité, une femme assez particulière, très instruite qui, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, partageait son savoir et son instruction religieuse avec les hommes.
Une femme d’une intelligence supérieure qui avait attiré la foudre des conservateurs en fréquentant les milieux masculins pour étudier l’islam, une femme hors du commun…Saïda Manoubia dont la renommée est telle qu’elle lui vaut un récit hagiographique intitulé Manâqib et rédigé par l’imam de la mosquée de La Manouba. Consécration très rare pour une femme, il révèle des éléments doctrinaux importants où cette grande dame revendique, ouvertement, le statut de « pôle des pôles », la plus haute dignité dans la hiérarchie soufie. »
Nous comprenons mieux maintenant pourquoi son mausolée a été attaqué.
L’ALECSO, de son côté, a promis d’aider à la reconstruction du mausolée, mais en attendant, c’est aux Tunisiens eux-mêmes d’être vigilants et de protéger leur patrimoine de la destruction méthodique dont il fait objet, dans un silence des autorités qui prête à la suspicion.