Il est à espérer que les négociations entre la Tunisie et le FMI débouchent sur un nouvel accord de prêt, faute de quoi le gouvernement Bouden sera confronté à des difficultés incommensurables de trésorerie…
Les discussions avec le FMI tiennent, ces jours-ci, en haleine tout le pays et pèsent de tout leur poids sur l’atmosphère générale, et il est heureux que les échos nous parvenant de Washington annoncent une probable admission du dossier tunisien même si cet accord est accompagné par une certaine appréhension, somme toute légitime, des Tunisiens.
Des craintes suscitées par les concessions qui précèdent cet accord et les conséquences douloureuses qui en découleraient.
Des échéances externes qui frappent à la porte !
Il est une vérité de la Palice : aujourd’hui, les besoins de financement du Budget 2022, qui s’établissent à près de 20 milliards de dinars, se font pressants sur un double plan. D’une part, pour financer les salaires de la fonction publique qui sont de l’ordre de 1,8 milliard de dinars par mois, d’autre part pour payer les prêts qui arrivent à échéance en 2022.
Si pour les salaires de janvier et de février, l’Etat a essayé, autant se faire que peut, de les payer à temps, le report de paiement des créances de la dette intérieure (un remboursement d’une ligne de BTA de 808,2 millions de dinars et une ligne BTCT de 1560,8 millions de dinars) est un signe qui ne trompe pas.
Le pays est effectivement entré dans la spirale du rééchelonnement de la dette, un scénario que tout le monde redoute car il est question de la crédibilité de l’Etat envers ses créanciers, même s’il s’agit d’agents créditeurs tunisiens.
Cette situation serait encore plus grave si cette insolvabilité s’étendrait aux dettes extérieures dont la Tunisie devrait acquitter les échéances en 2022. Et Dieu sait combien elles sont contraignantes. Jugez-en :
– Janvier : une première partie de l’emprunt saoudien (le paiement annuel prévu est de 100 millions de dollars).
– Mars : remboursement d’une partie des prêts syndiqués en devises contractés auprès des banques tunisiennes (300 millions d’euros). S’agissant de prêts en devises, elle s’accommode à une dette extérieure.
– Avril : dernière échéance du prêt qatari (250 millions de dollars) et une tranche du prêt du Fonds monétaire arabe (paiement total annuel de 78 millions de dollars).
– Mai : remboursement d’une tranche de la dette FMI (paiement total annuel de 127 millions de dollars), et d’une partie des prêts syndiqués en devises auprès des banques tunisiennes (145 millions d’euros).
– Juin : remboursement d’une tranche de la dette FMI, de la seconde tranche du prêt du Fonds monétaire arabe, et d’une partie des prêts syndiqués en devises auprès des banques tunisiennes (123 millions d’euros).
– Juillet : paiement de la seconde partie de l’emprunt saoudien.
– Septembre : remboursement d’une tranche de la dette FMI.
– Octobre : remboursement de la troisième tranche du prêt du Fonds monétaire arabe.
– Novembre : remboursement d’une tranche de la dette FMI.
– Décembre : paiement d’une tranche de la dette FMI, de la quatrième tranche du prêt du Fonds monétaire arabe, et d’une tranche de l’emprunt émis sur les marchés internationaux avec une garantie japonaise (25 milliards de yens).
Une bagatelle de 2 millions d’euros d’échéances extérieures à honorer d’ici fin 2022. Pour sortir de cette impasse, il n’y a qu’une seule alternative : peaufiner une stratégie judicieuse de refinancement de la dette, l’opération de refinancement de la dette consiste au remboursement d’un emprunt auprès d’un établissement de crédit suivi de la souscription d’un nouvel emprunt.
Aussi, seul un accord, dans les plus brefs délais, avec le FMI pourrait nous permettre de mener à bien cette opération. Mais cette opération comporte un revers de la médaille.
Gare au scénario grec !
Le revers de la médaille consiste à ce que la Tunisie glisse inexorablement vers une politique d’endettement de laquelle il sera difficile de s’en extraire. Et de vivre pratiquement le scénario vécu par la Grèce en 2014 quand sa dette publique a connu un emballement sans précédent, atteignant 177% du PIB.
Evidemment, l’on n’en est pas encore là, le niveau de la dette publique est de 82,6 % du PIB en 2022 selon les officiels (il atteindrait 100% du PIB d’après d’autres estimations).
Mais même avec un niveau de 82%, cette dette inquiète doublement. D’une part, par les craintes qu’elle fait naître chez les investisseurs sur notre capacité de rembourser notre dette publique et, d’autre part, par le poids du paiement de ses intérêts.
Ceci dit, est-ce un hasard si, aujourd’hui, les bailleurs de fonds étrangers ont une aversion au risque en Tunisie et privilégient les placements sûrs des autres pays ? Evidemment, non. Quand on voit les investisseurs tunisiens fuir le pays et s’installer ailleurs, on ne peut que leur donner raison.
Chahir CHAKROUN
Tunis-Hebdo du 28/02/2022