L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) réagit concernant la réforme du régime de la garde à vue et ce, à la suite de la publication de la loi n°5-2016, du 16 février 2016 modifiant et complétant quelques articles du Code de procédure pénale.
« En entérinant le droit effectif à un avocat et en réduisant la durée de la garde à vue, les nouvelles dispositions législatives adoptées en plénière au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) le 2 février 2016, et publiées au Journal officiel de la République tunisienne le 19 février 2016, sont une avancée considérable en matière des droits des détenus, des garanties du procès équitable et de la protection de la dignité humaine, indique l’OMCT dans un communiqué en date de jeudi 25 février 2016.
Sachant que ces dispositions vont révolutionner les procédures existantes durant l’enquête préliminaire mais qu’un grand fossé est souvent constaté entre théorie et pratique, l’OMCT appelle toutes les parties prenantes, à prendre les mesures nécessaires pour assurer la mise en place effective de cette réforme d’ici son entrée en vigueur.
Une durée de la garde à vue réduite,
nouveau pas en avant mais qui demeure
en deçà des standards internationaux
A compter de juin 2016, date d’entrée en vigueur de cette réforme, la durée initiale maximale de la garde à vue sera désormais de 48 heures pour les crimes et les délits, qui pourra être prolongée de 48h pour les crimes et de 24 heures pour les délits suite à une décision écrite et motivée du procureur de la République [1].
Cette diminution de la durée de la garde à vue, malgré qu’elle demeure en deçà des 48 heures recommandée à l’Etat tunisien aussi bien par le Rapporteur Spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Juan E. Méndez [2], que par le Comité contre la torture [3], est un pas en avant dans l’attente d’ultérieures réformes conformes aux standards internationaux.
A noter que la durée de la garde à vue pour les contraventions a été fixée à 24 heures non renouvelables. Le texte n’a néanmoins pas prévu de peines planchers à partir desquelles une décision de mise en garde à vue s’envisage, comme cela avait été recommandé dans un précédent commentaire du projet de loi rédigé par l’OMCT et transmis aux députés de l’ARP au mois de janvier 2016.
Il serait pourtant cohérent qu’en matière de contraventions, la mise en garde à vue ne soit possible que lorsque l’infraction qui fait l’objet d’enquête préliminaire prévoit une peine d’emprisonnement.
Une procédure plus clairement encadrée
par le procureur de la République
Le texte innove en précisant que la décision de mise en garde à vue doit être autorisée par le procureur de la République au lieu qu’il en soit uniquement informé par les officiers de police judiciaire, comme le prévoit les dispositions encore en vigueur. La personne mise en garde à vue doit en outre lui être présentée au terme de la période initiale de ladite garde à vue.
Il est cependant regrettable que le législateur ait conservé les termes imprécis des « nécessités de l’enquête » comme simple motivation pour la prise d’une telle mesure contraignante.
Une mesure dont l’application
doit être exceptionnelle
On rappelle à cet égard que la garde à vue, étant une mesure coercitive privative de liberté, devrait être uniquement prise dans des conditions exceptionnelles et pour des raisons objectives et bien précises.
A ce titre, l’article 9.1 du Pacte international des droits civils et politique précise « que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne » et l’article 9.3 poursuit en affirmant que « la détention des personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle ».
L’article 29 de la Constitution tunisienne reprend la substance de ces dispositions en disposant que « nul ne peut être arrêté ou mis en détention sauf en cas de flagrant délit ou sur la base d’une décision judiciaire. »
Il est ainsi recommandé que la politique pénale mise en œuvre par le Ministère public veille à considérer la mise en garde à vue comme une mesure exceptionnelle.
Une enquête préliminaire dont l’avocat
serait une partie prenante…
Le changement le plus significatif prévu dans cette loi est celui de l’accès à un avocat avec un rôle actif lui étant dévolu durant l’enquête préliminaire. L’avocat en tant que conseil de la personne gardée à vue aura droit à rencontrer son client, un droit à l’accès au dossier de l’affaire ainsi qu’à une présence en tant que partie active durant l’audition de son client ou sa confrontation avec autrui.
Il est même prévu un système de permanence géré par les sections régionales des avocats qui permettrait, dans les affaires criminelles, d’attribuer d’office un avocat à la personne gardée à vue ayant exprimé son souhait d’avoir accès à un conseil.
…Mais qui reste conditionnée
par les « nécessités de l’enquête »
dans les affaires de terrorisme
Toutefois, est considérée comme préoccupante la disposition de l’article 13. 3ème qui prévoit une possibilité pour le procureur de la République d’interdire, pour « les nécessités de l’enquête », l’accès à l’avocat pour une durée de 48h dans les affaires de terrorisme [4].
La Commission de Venise a précisé dans un rapport publié en juin 2010 que « l’accès à un avocat dès l’ouverture de la procédure non seulement renforcerait les droits de la défense, mais encore faciliterait sa collaboration avec la justice dans le respect de l’exercice de ses droits fondamentaux ; une telle collaboration est capitale pour réprimer et prévenir le terrorisme.» [5]
La jurisprudence internationale considère que toute exception à la jouissance de ce droit ou son report doit être clairement circonscrite et qu’une telle restriction doit être prise au cas par cas [6]. Il a été considéré notamment que, « même lorsque des raisons impérieuses peuvent justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits à un procès équitable » [7].
Des garanties entourant la garde à vue renforcées
En effet, on note quelques améliorations textuelles des dispositions relatives au droit d’être soumis à un examen médical et à l’élargissement de la liste des personnes susceptibles d’être informées de la mise en garde à vue du suspect. Il est espéré que ces nouvelles dispositions notamment celles du droit d’être soumis à un examen médical puissent mettre fin aux droits quasi hypothétiques de l’actuel article 13 bis du Code de procédure pénale.
Par ailleurs, la nouvelle disposition qui prévoit la nullité des procédures en cas d’irrégularité serait une bonne garantie si elle est bien mise en pratique.
Tous les intervenants durant cette phase du procès, le procureur de la République, les Officiers de police judiciaire, les magistrats, les avocats et leurs corps représentatifs doivent veiller au respect et à la bonne application de ces nouvelles garanties, qui doivent être permises et accessibles à tous les justiciables de façon égalitaire et quel que soit la nature de l’affaire.
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[1] La durée prévue par l’actuel article 13bis du Code de procédure pénale, ajouté par la loi n° 99-90 du 2 août 1999 et modifié par la loi n°2008-21 du 4 mars 2008, est de 72 heures renouvelable une seule fois pour la même durée. Ledit article prévoit uniquement l’obligation pour les officiers de police judiciaire d’ « aviser le procureur de la République », sans précision explicite de la forme que devrait prendre cette information. Quant au renouvellement de la période de la garde à vue, ce dernier doit se faire sur décision écrite du Procureur de la république.
[2] « Tunisie : un expert de l’ONU appelle à des réformes pour éradiquer la torture. », 6 juin 2014
[3] Comité contre la Torture, Observations finales sur la Tunisie (1999), A/54/44(SUPP), p. 15, par. 79
[4] A noter également que la durée de la garde à vue dans les affaires de terrorisme est de 5 jours, renouvelable 2 fois par le procureur de la République (articles 39 et 41 de la loi organique n° 26/2015 en date du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent).
[5] Rapport de la Commission de Venise sur les mesures de lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme adopté lors de la 83è session plénière (Venise, 4 juin 2010)
[6] Voir aussi : Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (1988), A/RES/43/173, Principes 17 et 18, en particulier principe 18(3) : « 3. Le droit de la personne détenue ou emprisonnée de recevoir la visite de son avocat, de le consulter et de communiquer avec lui sans délai ni censure et en toute confidence ne peut faire l’objet d’aucune suspension ni restriction en dehors de circonstances exceptionnelles, qui seront spécifiées par la loi ou les règlements pris conformément à la loi, dans lesquelles une autorité judiciaire ou autre l’estimera indispensable pour assurer la sécurité et maintenir l’ordre. »
[7] Affaire Salduz c.Turquie [GC], n° 36391/02, §55, CEDH, 27 novembre 2008.