La campagne contre la «malbouffe», pilotée par un collectif de la société civile, ne pouvait pas mieux tomber. Que mange-t-on dans la rue ? Avec l’instauration de l’horaire serré, ouvriers, employés, fonctionnaires, élèves ont recours aux sandwichs pour se nourrir.
Face à la cherté de la vie, beaucoup n’ont pas le choix. Ils se contentent du moins cher : conserves de sardines, frites dans de l’huile longuement utilisée, hamburgers confectionnés avec de la viande hachée d’origine douteuse…
La restauration rapide fait des émules et c’est à croire que plus c’est gras, sale et dégoulinant plus l’affaire marche. La cuisine de famille et même la gastronomie ont été sacrifiées sur l’autel de la rapidité, du bon prix et du… mauvais goût.
Pseudo-pizza noyée sous une tonne de mayonnaise,
chawarma parfumée au gaz carbonique
Par commodité, par habitude, le Tunisien mange de plus en plus mal : pseudo-pizza noyée sous une tonne de mayonnaise, chawarma parfumée au gaz carbonique et frites constituent l’essentiel des repas pris à l’extérieur. Le chiffre d’affaires des «restaurateurs» augmente en même temps que les chiffres sur l’obésité en Tunisie.
Incontestablement les habitudes alimentaires ont subi un véritable chamboulement. Après le «tajine» qu’on pensait indétrônable, les Tunisiens ont cédé aux sirènes de la «modernité» : la sandwichmania aux différentes appellations.
Du complet au spécial en passant par le plat tunisien, les appellations s’appliquent à un contenu quasi-identique : des frites préparées dans une huile noirâtre cent fois utilisée, de la laitue flétrie, de la tomate à la limite du pourri ; le tout fourré dans du pain industriel par une main à la propreté visiblement douteuse.
Après avoir goûté aux «délices» du spécial acheté au hamburger du coin, les Tunisiens ont découvert le chawarma, une spécialité turque, recyclée libanaise, très en vogue en ce moment. Les escalopes de dinde embrochées font des ravages.
Quand on pense qu’en Italie la pizza
a été labellisée par décret
Ni le fait que le tournebroche soit installé sur le trottoir, ni celui que la recette ressemble vaguement à l’originale, ne repoussent le client affamé qui salive à la vue des broches qui commencent à tourner très tôt le matin pour être consommées plusieurs heures plus tard.
Le business du chawarma semble avoir de beaux jours devant lui. Les Tunisiens observent et apprennent vite. Ils se permettent même de «tunisaniser» la recette et de saupoudrer la pizza de poudre «répulsante». Quand on pense qu’en Italie la pizza a été labellisée par décret.
Comment en est-on arrivé là ? Probablement que les changements qui ont ébranlé la société n’ont pas épargné l’alimentation. Pressé, stressé, fauché, le Tunisien mange n’importe quoi, pour peu que cela ne soit pas trop cher, pas trop loin de son lieu de travail.
Les vendeurs suent, s’essuient le front,
toussent et continuent de servir
Les lieux sont sales, les odeurs peu sympathiques ? Le serveur a un panaris ? Pas grave ! Rien n’arrête le chaland. L’appel du ventre est plus fort que celui de la raison. En quittant leur lieu de travail, l’université, le collège ou le lycée, des hordes de personnes affamées prennent d’assaut les fast-foods.
On joue des coudes pour commander, qui son frites-omelette, qui son complet. Derrière le comptoir, les vendeurs suent, s’essuient le front, toussent et continuent de servir. La scène ne choque personne.
C’est rentré dans l’ordre des choses de voir les vendeurs transpirer, se curer le nez tout en répondant avec le sourire à leurs clients résignés mais surtout affamés.
Bon appétit, quand même, messieurs-dames !
T.S.