Farhat Rajhi, l’ex-ministre de l’Intérieur surnommé Monsieur Propre, qui vient de prendre sa retraire de la magistrature et a décidé de s’engager dans un parti politique, a livré un entretien à Sami El Ouefi animateur de l’émission Sarahe Raha présentée hier sur Hannibal TV. Bien qu’en deçà de ce qu’on attendait, ses propos n’ont pas manqué de révélations fort significatives qui, pour la plupart, confirment certaines idées reçues sur des dossiers, des événements et des personnes.
Des affaires qui en disent long sur l’indépendance de la justice
Interrogé sur l’indépendance de la Justice, il a déclaré que sous le règne de Bourguiba et la dictature de Benali, la situation était inquiétante. Ceux qui étaient à la tête du pouvoir et les personnes influentes dans leur entourage se servaient de certains magistrats et rouages dans le ministère de la Justice pour imposer les verdicts et les sentences.
Il a prétendu qu’il n’a jamais été contacté par les autorités pour statuer dans un sens déterminé et que la seule affaire politique qu’il a jugée est celle des islamistes accusés d’attentats à la bombe, en 1987, contre des hôtels à Sousse et à Monastir. Il a affirmé que la condamnation des prévenus dans cette affaire était basée sur des preuves et des aveux alors qu’une partie de l’opposition considère qu’il s’agit d’une affaire fabriquée de toutes pièces par Benali pour accabler les islamistes. Quant à la non-comparution de Nejib Karoui, fils de Hamed Kaoui ex-premier ministre et vice-président du RCD, il a rejeté la responsabilité sur les autorités qui ont usé de leurs pouvoirs pour l’épargner malgré son implication avérée dans l’affaire.
S’agissant de la situation de la Justice après la révolution, Farhat Rajhi a préféré ne pas émettre de jugement au motif qu’il ne détient aucune information infirmant ou confirmant l’indépendance des tribunaux. Il a néanmoins critiqué la démarche sélective qui a caractérisé l’intervention de la commission d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation. Cette dernière s’étant arrogé la compétence des tribunaux a axé sur quelques dossiers et quelques personnes et passé sous silence des cas suspects. Il est allé jusqu’à remettre en cause les résultats des investigations au Palais de Sidi Dhrif (le trésor de 41 millions de dinars) où il n’exclut pas une mise en scène pour impressionner l’opinion publique. Dans ce même cadre, il a cité l’arrestation de Khaled Kobbi, qui séjourne encore en prison, alors que d’autres hommes d’affaires aussi impliquées que lui sont en liberté.
En réponse à une question sur l’affaire « Sami Fehri », il a affirmé qu’ elle représente une atteinte à la liberté individuelle de la part du Parquet qui refuse de le libérer malgré la décision de la cour de cassation et a lancé un appel au ministre de la Justice pour ordonner sa libération. Il pense qu’une telle décision ne constitue pas une immixtion dans les affaires de la Justice puisque la loi confère au ministre de la Justice, en sa qualité de chef du ministère public, le pouvoir d’intervenir pour garantir la bonne application des procédures.
Des responsables de premier ordre n’étaient pas favorables à la dissolution du RCD
Au ministère de l’Intérieur où sa nomination a été recommandée par Me Abderrazak Kilani ex- Bâtonnier de l’ordre des avocats et Me Lazhar Karoui Chebbi, la situation était très tendue au lendemain de la révolution et il dût user de doigté et d’habilité pour limiter les risques de débordement.
Relativement aux archives de la sécurité, Farhat Rajhi estime qu’à l’époque où il était à la tête du ministère, il y avait des choses plus importantes à traiter que l’accès à ces archives, surveillées par des responsables de sécurité. Parmi les dossiers brûlants auxquels il s‘est attaqué en premier lieu traités lors de son passage au ministère, l’éloignement d’une cinquantaine de cadres et d’officiers impliqués dans la torture et la répression du temps de Benali et le gel des activités du RCD en attendant sa dissolution par décision judiciaire.
Concernant la première décision, il a indiqué que la liste des personnes touchées pas cette décision s’appuie sur des états et des noms communiqués par des militants des droits de l’homme dont il a cité Sihem Ben Sedrine, Mohamed Abbou et Abderraouf Ben Ayed.
Pour ce qui concerne le gel des activités du RCD, il a fait savoir que la décision correspond à une revendication populaire. En outre, elle s’est imposée à la suite de l’implication de 114 responsables du RCD dans des actes de vandalisme, qui n’ont pas été arrêtés malgré les ordres donnés. Il a précisé que Med Ghannouchi, ex-premier ministre, et Foued Mebazaa président par intérim, avaient essayé de le convaincre de ne pas engager la procédure.
Kamel Letaif serait à l’origine de son limogeage du ministère de l’Intérieur
Sous le gouvernement de Beji Caied Essebsi, Farhat Rajhi a nommé Abdessattar Bennour en tant que directeur de la sûreté nationale. Dans la même journée, Beji Caied Essebsi a décidé de le démettre. Cette réaction se justifie par le fait que Abdessatar Bennour était chargé par Benali en personne de surveiller Kamel Letaief. Ce dernier serait donc intervenu auprès de Caied Essebsi pour empêcher cette nomination. Depuis, Farhat Rajhi s’est considéré visé par celui qui, à ses dires, incarne le gouvernement d’ombre. Il estime que son limogeage du ministère a été dicté par Kamel Letaif, au moment où il s’apprêtait à écarte 144 délégués qui faisaient partie de l’ancien régime.
Dans le même sens, il confirme les informations qu’il a avancées lors d’une interview mise en ligne en mai 2011. Il ne regrette pas d’avoir dénoncé dans cette interview le gouvernement d’ombre et sa mainmise sur la politique de l’État. Il s’agit pour lui d’une réaction de légitime défense face aux attaques dont il a été l’objet. Malheureusement pour lui, ses déclarations fracassantes lui ont coûté le déclenchement de poursuites légales et il a été obligé de s’éclipser et de se préparer à fuir le pays si l’immunité judiciaire ne lui serait pas reconnue. En recouvrant l’immunité requise, il est réapparu sur la scène pour se joindre au parti de l’Alliance Démocratique promu par Mohamed Goumani.
Les ligues de protection de la révolution ne peuvent pas être une association
Outre la violence auxquelles elles s’adonnent, Farhat Rajhi considère que les ligues de protection de la révolution ne peuvent pas être une association, car il trouve qu’elles n’ont pas une mission précise et bien déterminée comme l’exige sur la loi sur les associations. Il a ajouté que s’il était au pouvoir, il se serait opposé à leur constitution sous la forme d’une association. Implicitement, il soutient leur dissolution.
Farhat Rajhi qui a déclaré avoir voté pour des indépendants, estime que le parti Ennahdha est le mieux structuré et organisée de toutes les formations de la place. Pour le vaincre aux prochaines élections, il est prévoit la constitution de coalitions entre les composantes de l’opposition qui soient capables de rivaliser avec ce parti. A cet effet, il n’est pas contre l’entrée en coalition avec Nidaa Tounes et de mettre la main dans la main avec Caied Essebsi.