– Par Abdelaziz Belkhodja –
Ressassé chaque jour, confirmé de façon très substantielle par les sondages, le rejet par les Tunisiens des politiques est de plus en plus flagrant.
A la base de cette déception, le désenchantement ayant suivi la révolution et la rupture totale du discours politique avec les attentes des Tunisiens. Alors que nous nous attendions à un discours sur des solutions de développement, le débat s’est englué dans une question religieuse complètement hors sujet, et depuis, le débat a été pollué par la décadence de la situation socio-économico-sécuritaire du pays, ce qui a débouché sur un brouhaha qui a détourné la majorité des Tunisiens des affaires politiques.
Pire encore, l’événement qui a crée tant d’espoir a été complètement ridiculisé par une grande partie du peuple qui renie ainsi jusqu’au mouvement qui lui a donné voix au chapitre. Les Tunisiens sont tellement déçus par la misère, l’appauvrissement, la saleté, la violence et l’absence totale de visibilité, qu’ils en arrivent à regretter le sombre régime de Ben Ali. Ils ont oublié les exactions, l’arrogance, le système de succion généralisé des richesses du pays, la mise en place d’une mafia (elle sévit encore, libérée de ses parrains), la décadence de l’Etat, de l’éducation, des mœurs…
Une révolution détestée avant même d’être fêtée
Alors qu’au 15 janvier le Tunisien était fier du chemin accompli, de la dignité retrouvée et de la liberté arrachée, dans les heures qui ont suivi, les responsables politiques ont une nouvelles fois, par leur bêtise et leur irresponsabilité, jeté le peuple dans le brouillard avec les affaires de « milices armées », « terroristes étrangers » et de « snipers ». Ces histoires chimériques, augmentée de l’arrivée en force des islamistes conservateurs avec leur message complètement décalé par rapport aux valeurs révolutionnaires, ont finis par jeter le doute sur la révolution et au bout de quelques mois, la cacophonie est devenue la règle.
Avancer avec des idées fausses ?
Comment sortir de ce tourbillon dans lequel la Tunisie s’est perdue ? Comment éliminer les théories débiles qui polluent conversations, réseaux sociaux et médias, empêchant les Tunisiens de construire autour des idées progressistes ?
Les tenants de la théorie du complot ont fait des ravages. Aujourd’hui, historiens, investigateurs, auteurs, journalistes et scientifiques sincères ont très peu de doutes sur ce qui s’est passé en décembre 2010-janvier 2011. Malheureusement, politiciens médiocres, journalistes véreux et groupes malintentionnés, continuent à vouloir tromper les Tunisiens en développant que tout ce qui s’est passé était planifié par des éléments extérieurs.
C’est amplement suffisant pour déresponsabiliser des Tunisiens soumis depuis 60 ans à un Etat-providence qui s’est mué en système mafieux. Or cette « dé-responsabilisation » a des conséquences désastreuses : elle permet aux voleurs de révolution financés par les pétri-monarques de poursuivre leur mission de falsification et de déformation du message progressiste, démocratique et humaniste porté par les révolutionnaires. En fait, c’est non seulement insulter un peuple dont l’histoire a toujours prouvé l’intelligence, mais c’est aussi opérer un suicide intellectuel qui prédispose à la mort d’une expérience communautaire moderniste pourtant arrivée à maturité le 14 janvier 2011.