Au-delà des convictions et des choix politiques, l’article 10 du projet de constitution proposé par ENNAHDHA, rendu publique au lendemain de l’élection du rapporteur général de la constitution, Habib Khedher, et défendu par ce dernier lors d’une émission radiophonique présentée il y a 2 jours, suscite un vif débat juridique qui ne sera pas sans incidence sur l’application de la loi par les juges.
Selon cet article la CHARIAA AL ISLAMIA représente une source fondamentale de la loi. La formulation de ce projet pousse les juristes à s’interroger sur la relation entre la CHARIAA et la loi. Sera-t-elle une source d’application de la loi, et dans ce cas le juge doit s’y référer en cas d’interprétation du texte légal ou une source d’inspiration du législateur et dans cette hypothèse, le texte de loi qui n’en tient pas compte est annulable pour inconstitutionnalité. Au fait, l’emploi d’une formulation aussi large et générique permet d’affirmer que les deux lectures sont valables: la CHARIAA en tant que source fondamentale de la loi est en même temps une source de droit et un fondement de la loi.
Seulement, la pomme de discorde s’attachant à la problématique ne réside pas uniquement dans les divergences entre les politiques au sujet des soubassements de la nouvelle république. Des divergences au niveau de l’interprétation des textes CHARAÏQUES opposent les jurisconsultes musulmans et les OULAMA. Sur telle ou telle question, les avis sont partagés et les positions sont controversées, en fonction des rites et des écoles.
La récente polémique entre islamistes sur le port du NIQAB en est une illustration. Pour les uns, il s’agit d’une obligation religieuse qui s’impose à la femme et à la société. Pour d’autres, il n’existe pas de texte coranique imposant le NIQAB . De ce fait, si l’on devait statuer selon la CHARIAA, toute décision du tribunal ne risque pas de faire l’unanimité dans les milieux islamistes.
La CHARIAA : Source de droit
En application des principes généraux de droit, la principale norme juridique que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont tenus d’appliquer est la loi. Dans cet esprit, l’article 532 du code des obligations et des contrats dispose ce qui suit « En appliquant la loi, on ne doit lui donner d’autres sens que celui qui résulte de ses expressions ».
Cependant lorsque la loi est muette sur une question déterminée ou dans le cas où ses dispositions sont ambiguës, le juge, obligé de statuer, doit revenir à d’autres sources qui peuvent être en vertu de la pratique universelle soit la coutume selon certaines conditions soit la jurisprudence dans le cas où elle traduit un effort d’interprétation.
En indiquant dans la constitution que la CHARIAA est une source fondamentale de la loi, on peut considérer qu’elle représente une source de droit en ce sens que le juge doit puiser la solution dans cette source en cas de lacune ou d’ambiguïté au niveau du texte légal. Les décisions des tribunaux qui n’en tiennent pas compte seront donc susceptibles d’infirmation et de cassation.
La CHARIAA : Fondement de la loi
La CHARIAA en tant que source fondamentale de la loi signifie également qu’elle représente une source d’inspiration du législateur qui en concevant le texte de loi doit s’assurer de sa conformité à la CHARIAA. Et dans la mesure où la loi doit être en parfaite adéquation avec la constitution, l’élaboration d’un texte de loi qui ne tient pas compte de la CHARIAA pourra conduire à son annulation par la juridiction constitutionnelle et sa mise à l’écart par les juges pour non-respect de la constitution. En effet, l’appréciation de la constitutionnalité des lois s’étend à l’esprit et aux fondements des dispositions édictées.