Le Bou Kornine fait partie intégrante du paysage autour de Tunis. Visible de partout, cette montagne est incontournable.
Le « bicornu » si l’on traduisait le nom de cette montagne, reste peu visible dans nos œuvres d’art. De rares photographes et quelques peintres comme Jalel Ben Abdallah, ont immortalisé cette montagne qui évoque un dromadaire.
Promu parc national, le Bou Kornine est célèbre pour ses cyclamens, ses pistes rurales et la station de télévision qui se trouve à son sommet.
Pour certains, le Bou Kornine évoque les carrières de « kaddel », cette pierre qu’affectionnent les Tunisois pour la décoration de leurs demeures.
Pour d’autres, c’est le souvenir de Hammam-lif, de Mornag et de Djebel Ressas qui resurgit ou encore celui de Borj Cedria et Bir el Bey.
Vu de la mer, le Boukornine est partout et on peut l’admirer de la Goulette, Ez-zahra ou Sidi Bou Said.
Cette beauté permanente, subtile et discrète émane d’une montagne devenue familière mais que, paradoxalement, nous ne prenons pas le temps d’observer.
Je redécouvre personnellement le Boukornine et cette montagne m’aimante. Peut-être sont-ce les antiques sanctuaires punique et romain ? Ou encore sont ce les formes douces et vallonnées ? De plus en plus, je succombe à la magie du Boukornine !
Nous ne connaissons pas le Bou Kornine et le parc national qu’il abrite. Nous ne connaissons pas les noms des monts qui forment son relief et, comme le djebel Keddel, sont devenus des carrières exploitant des roches calcaires du crétacé.
Le Bou Kornine est un lointain cousin de Djebel Bargou et des montagnes de la Dorsale tunisienne dont il est la continuité. Avec ses 576 mètres d’altitude, il a une fière allure qui rappelle la silhouette du Vésuve ou de l’Etna, ses autres cousins italiens.
Le Bou Kornine est-il un volcan éteint ? Je ne le sais pas. Peut-être que ses rugissements immémoriaux ont-ils poussé les premiers Carthaginois à le considérer comme une aire sacrée ?
Il fut en tous cas, le Seigneur aux deux cornes, le Baal Karnein que les Romains rebaptiseront Balcaranensis. Le Bou Kornine est mon estampe japonaise, mon reflet proche du Fuji Yama.
Crédit photo : Mahmoud Chalbi
Arpenter ses hauteurs à l’ombre des pins d’Alep et des thuyas, admirer et cueillir les cyclamens persans qui ne poussent que sur ses flancs, observer la gloire des orchidées et des tulipes sauvages, deviner les traces des gazelles et des renards, pressentir la présence des sangliers, se laisser surprendre par l’envol d’un rapace, rêver aux musaraignes qui filent dans le ciel, se laisser envoûter à son tour, après les siècles des siècles.
Mon regard est posé sur la montagne qui surplombe la mer. Elle est ma mesure du setemps et mon repère inébranlable. Elle est notre permanence qui s’érode et notre horizon qui se confond avec deux éminences boisées si proches et si lointaines, familières au point d’en devenir invisibles.
Pratiquement, sans m’en rendre compte, j’ai passé ma vie à tutoyer les bateaux qui traversent le golfe de Tunis. Ce n’est pas rien, ce n’est pas banal, ça convoque un arc lumineux qui va d’Utique à Sidi Daoud, de Raoued à Borj Cedria, de Gammath à Hammam-Lif, de Sidi Bou Said à Ezzahra, de la Goulette à Rades, là où chaque fois, je retrouverai des sédiments de ma propre vie qui s’étiole.
Mes yeux plongent dans la durée placide des reliefs qui s’effondrent dans la mer. Mes yeux se taisent et le silence de la mer, et le souffle du vent, et les aurores de l’histoire, et la majesté du Seigneur aux deux cornes.