Mouna Allani Ben Halima est une professionnelle reconnue dans le domaine du tourisme. Après une vadrouille dans le centre du pays, entre Kesra, Oueslatia et Kairouan, elle dresse un inquiétant état des lieux dont sont victimes les initiatives locales aux prises avec l’administration. Un document à lire et diffuser.
« C’est l’histoire de Mouna Abdaoui, master en archéologie, au chômage. Il y a dix ans, elle avait enfin trouvé une source de revenus qu’elle pensait durable : guide de montagne autour de son village natal, Oueslatia, avec visites de plusieurs grottes abritant des peintures rupestres datant d’il y a 8000 ans.
Grâce à l’activité de la seule structure d’hébergement de la région, le gite de Dar El Henchir, elle arrivait à faire vivre sa petite famille. Il y a quelques mois, notre chère administration a décidé de fermer ce gîte, qui travaillait sans autorisation. Autorisation qu’il n’a jamais pu obtenir pour des raisons toutes plus ridicules les unes que les autres.
Depuis, des dizaines de familles qui vivaient grâce à l’activité touristique que ce gite drainait sont aujourd’hui privées de revenus.
C’est aussi l’histoire de Achraf, un jeune de Kesra, au chômage. Ce jeune avait des revenus lui permettant de vivre, grâce à l’activité touristique que générait Dar Hlima, la seule structure d’hébergement du village.
Dar Hlima fournissait du travail à une vingtaine de jeunes de Kesra. Il y a 4 ans, notre chère administration a décidé de fermer cette maison d’hôtes, sous un prétexte tout ce qu’il y a de plus rageant : soit disant la loi ne permet pas à une association de gérer une maison d’hôtes. Mais la loi ne l’interdit pas non plus, n’est-ce pas ?
Cette maison d’hôtes avait pourtant bénéficié d’un financement de l’Union Européenne et avait été inaugurée en grande pompe en présence de plusieurs ambassadeurs et représentants de notre chère administration qui se félicitaient du grand apport que cela générerait pour Kesra.
Je viens de passer deux jours à visiter des lieux incroyables, des paysages à couper le souffle, et un patrimoine si riche qu’il ferait pâlir de jalousie la plupart des destinations touristiques concurrentes. Deux jours à découvrir les merveilles qu’abritent deux gouvernorats parmi les plus pauvres de la Tunisie : Kairouan et Siliana.
Deux jours le cœur serré face à ce potentiel gâché, auquel notre chère administration est insensible. Une administration qui prend un malin plaisir à contrer toute initiative, à compromettre toute possibilité de croissance et de développement !
Une administration qui adore montrer sa toute-puissance, en privant de pauvres villages du peu d’oxygène qu’ils avaient pu respirer grâce à des investisseurs privés. Des privés, vous savez, les fassidines, les corrompus, les voleurs : ceux qui investissent leurs économies parce qu’ils croient en leurs régions, et que l’administration préfère broyer entre ses mâchoires (…).
Admirez Kesra, le plus haut village de Tunisie, perché à plus de 1000 mètres d’altitude et si fier de ses origines berbères !
Admirez Makhthar, un site archéologique de premier ordre, des thermes et mosaïques d’une beauté exceptionnelle.
Le guide local était aux abonnés absents, comme sur la plupart des sites archéologiques à l’intérieur du pays. Guide local qui est pourtant fonctionnaire payé par le ministère de la Culture et supposé être sur son lieu de travail en permanence ! A l’accueil on nous explique qu’il n’est jamais là parce que les visiteurs ne le demandent jamais.
Admirez Djebel Oueslat et ses grottes de peintures rupestres de Kaf El Bhim, et à l’horizon Djebel Serj, Djebel Trozza et Djebel Mghila. Une randonnée en plein maquis, et mille et une histoires de fellagas résistants aux colons.
Bien sûr vous ne pourrez pas loger dans ces villages, toutes les structures d’hébergement ayant été fermées par notre chère administration.
Aussi, nous avons logé à Kairouan, donc à 1h30 de route de Kesra, et à 1h de route de Oueslatia. A Kairouan nous avons visité un très bel hôtel, Dar Dhiafa Paul Klee.
Flambant neuf, fait avec passion et amour par un investisseur qui y a consacré ses économies. Un doux rêveur qui y a cru. Une fois l’hôtel prêt à accueillir ses clients, il y a déjà un an, notre chère administration n’en a fait qu’une bouchée bien sûr.
Qu’importe que les gens investissent, s’endettent, travaillent dur à finir leurs chantiers, à achever leurs projets, en espérant rentabiliser leurs investissements, notre administration n’en a cure, et préfère leur refuser leurs autorisations, le temps qu’ils s’effondrent, qu’ils fassent faillite, que leur monde s’écroule.
Le temps aussi que les jeunes de Kesra, Makthar ou Oueslatia se jettent à la mer en direction de Lampedusa, à défaut d’espérer le moindre avenir dans leur pays.
Mais bon, pas de retour en arrière dites-vous ? »