Comment les États-Unis et leurs alliés ont sacrifié la voie démocratique iranienne et facilité l’émergence d’un ordre islamique durablement exploité pour leurs intérêts.
Bien avant les turbans noirs de Khomeini, l’Iran a tenté de devenir une démocratie parlementaire souveraine. Dans les années 1950, sous l’impulsion de Mohammad Mossadegh, le pays esquissait une voie inédite au Moyen-Orient : un État laïque, démocratique, fondé sur la souveraineté populaire et le contrôle des ressources nationales. Mais cette tentative fut écrasée par un coup d’État orchestré par la CIA et les services secrets britanniques. Pire encore : selon de nombreux historiens, l’Occident a laissé émerger — sinon favorisé — le régime islamique de 1979, espérant qu’il serve mieux ses intérêts géostratégiques.
Plus de 40 ans plus tard, alors que la jeunesse iranienne se soulève contre l’ordre islamique, que les frappes israélo-américaines ont ciblé l’Iran, ce passé refait surface comme une cicatrice jamais refermée.
Mossadegh : la démocratie sacrifiée
Élu démocratiquement en 1951, Mohammad Mossadegh, nationaliste modéré, incarne une promesse inédite : rendre le pouvoir au peuple et reprendre le contrôle du pétrole iranien monopolisé par l’Anglo-Iranian Oil Company (future BP). Soutenu massivement par la population, il nationalise l’or noir. Londres riposte par un embargo, puis convainc Washington — en pleine guerre froide — qu’il faut renverser Mossadegh pour éviter une dérive « communiste ».
Août 1953 : l’opération Ajax, menée par la CIA et le MI6, provoque la chute du gouvernement. Le Shah Mohammad Reza Pahlavi, jusque-là en retrait, est réinstallé avec le soutien occidental. La première expérience démocratique du monde musulman est ainsi brisée — non par ses ennemis internes, mais par les gardiens autoproclamés de la démocratie libérale occidentale.
La dictature du Shah : autoritarisme occidental-compatible
De 1953 à 1979, le Shah règne avec une main de fer, soutenu par les États-Unis, qui lui fournissent armes, services de renseignement (la sinistre SAVAK) et un modèle de modernisation autoritaire. L’Iran devient un rempart stratégique contre le communisme soviétique et un partenaire énergétique fiable pour l’Occident.
Mais la répression, la corruption, le mépris des libertés et l’arrogance du régime creusent un gouffre entre l’élite moderniste et le peuple. Dans l’ombre, un homme s’organise : Ruhollah Khomeini, exilé, chiite radical, structurant une opposition islamique autour de la mosquée, des martyrs et du rejet de l’impérialisme.
1979 : le paradoxe américain
Contrairement aux idées reçues, les États-Unis n’ont pas tenté de sauver jusqu’au bout leur protégé. En 1978–1979, l’administration Carter entretient même des canaux de communication discrets avec Khomeini et ses proches. Pourquoi ? Parce que l’alternative — un soulèvement populaire de gauche ou un effondrement total — leur paraît pire. Khomeini rassure alors sur sa volonté de maintenir la stabilité et les accords pétroliers.
Le pouvoir change de mains. Le régime islamique s’installe. Et Washington — surpris par la radicalisation post-révolutionnaire — se retrouve prisonnier de sa stratégie du « moindre mal ».
Une République islamique utile pour les équilibres instables
Durant les années 1980, les États-Unis n’affrontent pas frontalement le nouveau régime. Ils soutiennent même indirectement l’Irak de Saddam Hussein dans la guerre contre l’Iran (1980-88), sans souhaiter une victoire nette. Objectif : affaiblir les deux puissances régionales, maintenir un équilibre instable, et continuer à jouer un rôle d’arbitre et de fournisseur d’armes dans le Golfe.
Certaines sources indiquent que des informations sensibles sur les opposants laïques et communistes ont été transmises aux nouveaux maîtres islamistes pour faciliter leur élimination.
La révolte de 2022 : l’héritage contesté de la République islamique
Le 16 septembre 2022, la mort de Mahsa Amini, une jeune Kurde arrêtée pour un voile « mal porté », provoque un soulèvement sans précédent. Femmes, étudiants, minorités ethniques, tous réclament la fin de la République islamique. Les slogans renversent la rhétorique officielle : « Femme, vie, liberté » remplace « Mort à l’Amérique ».
Cette révolte, sévèrement réprimée, révèle la faillite morale et politique du régime de Khomeini, devenu un pouvoir brutal, patriarcal, et idéologiquement essoufflé.
2024–2025 : le retour du feu occidental
Depuis 2024, les tensions régionales ont basculé dans l’affrontement militaire direct : attaques israéliennes contre des infrastructures nucléaires iraniennes, frappes américaines ciblées, cyberattaques, assassinats d’officiers du Corps des Gardiens.
Mais ces interventions, au nom de la sécurité ou de la lutte antiterroriste, ravivent les rancœurs anciennes : celles d’un peuple pris en étau entre un régime imposé et une tutelle étrangère persistante.
un peuple trahi deux fois
La trajectoire de l’Iran moderne est marquée par un double sabotage : celui d’une démocratie nationale émergente par les puissances occidentales, puis celui d’une révolution populaire confisquée par une théocratie.
En sacrifiant Mossadegh, puis en s’accommodant du régime de Khomeini, l’Occident a contribué à enfermer l’Iran dans un piège historique. Ce piège sert encore aujourd’hui les intérêts stratégiques : maintenir la tension dans le Golfe, justifier les bases militaires, peser sur les marchés de l’énergie.
En 2025, l’Histoire ne pèse pas seulement sur la mémoire : elle continue de façonner les alliances, les haines, et les soulèvements à venir.
Pour approfondir : Vidéo de l’intervention du professeur de sciences politiques à l’Austin Community College Dr Roy Casgranda