Je les ai rencontrées par hasard, un soir, dans un petit restaurant chinois à Brno, au sud de la République Tchèque. Je dinais seule, un livre à la main, et j’ai entendu, tout à coup un dialecte syrien dans la table juste à côté.
En levant ma tête, je suis tombée sur une belle dame accompagnée de sa fille, une jeune d’une vingtaine d’années, discutant vivement et rigolant. Elles avaient ce genre de beauté orientale que vous ne pouvez pas manquer dans un pays de l’Europe centrale.
« Salam ! »
J’ai toujours été intéressée par le sujet des réfugiés syriens en Europe, les défis qu’ils vivent quotidiennement et la situation très délicate dans laquelle ils se trouvent. L’image du petit Aylan, reposant sur une plage turque et celles des petites embarcations pleines à craquer de familles effrayées occupent encore et toujours mes pensées.
Je n’ai pas hésité un seul moment à aller leur parler. En les saluant en arabe, elles étaient au début surprises, puis très heureuses. Tellement heureuses d’ailleurs qu’elles m’ont invitée à leur table, pour diner avec elles. Je pouvais sentir la soif de discuter dans leurs yeux. Sans le moindre complexe, elles commençaient à parler de leur vie en République tchèque, de leurs souvenirs en Syrie et du futur à la fois sombre et flou qui les attend.
Une famille aisée qui a tout perdu
En les observant discuter, on pouvait deviner facilement qu’elles venaient d’une grande famille en Syrie. Et c’était vraiment le cas. La fille, L., m’a racontée qu’elles venaient de Damas et que leur situation sociale était aisée. Mais la vie a voulu qu’elles soient déracinées…
« Nous avions une vie normale, comme tout le monde. J’étais à l’université et mes parents travaillaient tous les deux. Nous avions une vie tranquille, jusqu’à ce que la guerre éclate.
Nous avons pris la décision de quitter notre maison, notre pays essentiellement à cause de la situation générale dans laquelle se trouvait la Syrie, le chaos.
On ne comprenait pas ce qui se passait exactement mais on pouvait tout de même sentir que la guerre n’est pas près de s’achever et que rétablir l’ordre prendra du temps », a-t-elle expliqué.
La maman est alors intervenue pour souligner une date qui, selon elle, est des plus marquantes. Le 13 juillet 2016, jour où toutes les deux ont pris leurs valises et ont quitté la Syrie, fuyant la guerre vers l’incertitude. Depuis cette date, elle compte les jours et les nuits, loin de son mari, de ses frères et sœurs, de ses collègues et de sa ville…
Suivre le flux…
En leur demandant si elles sont entrées en Europe illégalement, elles ont souri m’assurant que tout était légal et qu’elles ont choisi spécifiquement la République tchèque parce qu’elles avaient de la famille ici et qu’elles voulaient être avec des personnes qu’elles connaissaient pour se sentir plus en sécurité.
« Avec toutes ces images désolantes de réfugiés syriens qui meurent tous les jours sur les plages méditerranéennes, des familles et des enfants qui font face à la mort quasi-certaine pour pouvoir quitter leur pays. Est-ce que vous regrettez d’être venues en Europe », ai-je demandé à la jeune L.
Sans la moindre hésitation, elle m’a répondu « Non, nous ne regrettons pas d’être venu ici. Nous nous sentons plus en sécurité en dépit de l’attente de l’approbation de notre demande de protection internationale par le gouvernement ».
Des attentes pour un futur incertain ?
Les yeux pleins de larmes, L. m’a confiée qu’elle ne sait pas si elle reverra un jour la Syrie, si elle pourra revivre dans son ancien quartier de Damas, revoir ses amies, retrouver son université… A ma question « Où est-ce que tu te vois dans 10 ans », elle a tout simplement répondu par un « Je ne sais vraiment pas ». On pouvait sentir la tristesse, la confusion et l’incertitude dans son regard, dans sa voix et dans ses paroles.
Elle aime son pays, elle rêve de marcher encore une fois dans les rues de la capitale, d’aller voir ses copines, de diner avec toute sa famille réunie à table mais ne sait ni comment ni quand elle pourra retrouver sa patrie.
Sentant la tristesse de sa fille et la lourdeur de son cœur, la maman, M., a pris sa main pour la caresser. « Vous savez quoi », a-t-elle lancé en me souriant, « Nous savons que la guerre en Syrie n’est pas près de finir.
Notre pays usera d’une dizaine d’années pour revenir comme il l’était avant. Il y aura beaucoup de travail, beaucoup d’efforts, beaucoup de thérapie, mais je sais au fond de moi que nous allons réussir. La Syrie reviendra certainement… »
Sur ces paroles, elles m’ont quittée. L’esprit lourd de souvenirs, les yeux pleins de larmes et le visage souriant. En ce moment précis, elles me rappelaient la Syrie. Ce pays-phare, le joyau du Moyen-Orient, blessé, attristé mais glorieux, sans pareil.
Imene Boudali