Je connaissais le Festival du Film Arabe de Malmö (MAFF) depuis quelques années à travers les publications que je voyais sur Facebook et j’avais très envie d’y participer. Cela m’a donc fait très plaisir cet été lorsque j’avais reçu une invitation pour assister à la 9eme édition qui s’est tenue du 4 au 8 Octobre 2019.
J’étais contente de visiter pour la première fois la Suède et surtout curieuse de découvrir les particularités d’un festival du film arabe organisé dans un pays occidental, surtout que le MAFF est en réalité le festival du film arabe le plus important d’Europe.
MAFF 2019 – La ville de Malmö accueille le festival
Bravant le froid glacial, j’avais assisté le soir même de mon arrivée à la cérémonie d’ouverture du festival organisée par la Mairie de Malmö dans un très bel ancien palais royal, construit vers 1650. Carina Nilsson, maire de Malmö et Frida Trollmyr, présidente du comité culturel de la ville, avaient prononcé chacune un discours pour dire à quel point le festival était nécessaire dans une ville comme Malmö, dont 35% de la population est d’origine étrangère, en particulier irakienne et syrienne, et à quel point la mairie encourage cet échange culturel entre les communautés. Elles avaient insisté sur l’importance de ce festival, qui au fil des années était devenu l’événement culturel majeur de la ville.
Après le dîner suédois offert par la mairie, les invités du festival s’étaient déplacés au cinéma Panora pour la projection du film d’ouverture Regarde-moi de Nejib Belkadhi, le cinéma tunisien étant l’invité d’honneur de cette 9eme édition. D’ailleurs cinq longs et quatre courts métrages tunisiens étaient au programme.
MAFF 2019 – Cérémonie d’ouverture à la Mairie de Malmö
Très souvent, dans les divers médias, le public ne voit des festivals de cinéma que les tapis rouges, les stars et leurs robes, or ces festivals sont bien plus consistants et intéressants que cet aspect paillettes et glamour.
Concernant le MAFF, tous les jours, il y avait diverses tables rondes, séminaires et discussions sur le thème du cinéma. Le premier jour d’ailleurs, j’avais assisté au panel « Le cinéma tunisien, hier, aujourd’hui et demain » animé par Tarek Ben Chabbane et Slim Ben Cheikh, lors duquel ils ont chacun exposé son point de vue sur le cinéma tunisien et son évolution depuis les années 1950 à nos jours.
MAFF 2019 – Slim Ben Cheikh et Tarek Ben Chaabane et le cinéma tunisien.
Il y avait également tous les jours des présentations (ou pitch) de projets de films devant des jurys qui devaient sélectionner les projets auxquels des prix seraient décernés.
J’adore cette ambiance parce qu’on assiste pratiquement à la naissance d’un film, alors qu’il n’est encore qu’au stade d’une idée portée par un scénariste, un réalisateur ou même un producteur. J’aime lorsqu’une personne est là, et avec l’aide de photos, vidéos ou croquis, expose son projet et essaye de convaincre. Elle présente son film, son histoire, les raisons qui l’ont poussé à vouloir le faire, où elle compte le tourner, avec quels acteurs…
Parfois cette personne est très convaincante et même bouleversante, tellement elle est passionnée. Tel était le cas de l’actrice palestinienne Areen Omari venue parler de son projet de documentaire Looking for Saada, qui sera produit par le palestinien Rashid Masharawi et la suédoise Linda Mutawi.
Depuis toujours, la maman d’Areen leur racontait que pendant sa jeunesse, elle avait été actrice et avait joué un rôle important dans un film américain. Bien sûr, personne ne l’avait jamais crue. Pire, au fil des années, toute la famille pensait qu’elle déraillait un peu. Or, dernièrement, ce film est réapparu. La vieille dame disait donc vrai….
Le projet Looking for Saada a d’ailleurs remporté une aide de 75.000 SEK offerte par le Swedish Film Institute.
MAFF 2019 – Areen Omari et Rashid Masharawi présentent leur projet de film « Looking for Saada »
En plus des projections dans certaines écoles et universités, depuis 6 ans le MAFF s’est également étendu à deux autres villes, Stockholm et Helsingborg, pour toucher un plus grand nombre de spectateurs et promouvoir la culture arabe à un public plus important et plus diversifié.
J’ai tenu à aller à la projection du film égyptien EXT.Night de Ahmad Abdallah (qui d’ailleurs remportera le prix du Meilleur film) à Helsingborg. Pendant tout le trajet, j’ai pu constater à quel point la campagne suédoise est belle. D’énormes étendues de verdure, avec de jolie fermes en bois, et même un énorme moulin à vent, comme on en voit sur les cartes postales.
L’expérience a également été enrichissante sur le plan humain. Dans cette petite ville, les spectateurs, aussi bien suédois qu’arabes, s’étaient déplacés nombreux et avaient participé avec intérêt au débat qui avait suivi la projection.
MAFF 2019 – Débat après la projection de EXT.Night à Helsingborg, en présence des deux acteurs principaux du film
A Malmö, comme je connaissais pratiquement tous les longs métrages de fiction sélectionnés, j’ai essayé tous les jours de voir un maximum de documentaires et de courts métrages, qui pour la plupart étaient très intéressants.
J’ai ainsi pu enfin voir le court métrage Les Pastèques du cheikh de Kaouthar Ben Hania. Très beau film. Tout en finesse et subtilité. La réalisatrice y critique l’hypocrisie de certains tunisiens, qui sous couvert de religion, essayent d’usurper le pouvoir, quitte à user de subterfuges et d’arnaques. Les Pastèques du cheikh a d’ailleurs remporté le Prix de la Meilleure réalisation.
J’ai aussi enfin pu voir le court métrage Shouka We Sekina (Fourchette et Couteau), du jeune réalisateur égyptien Adam Abdel Ghaffar. Très beau film qui nous entraîne dans la complexité des relations de couples. Asser Yassine, l’un des trois acteurs principaux du film, était d’ailleurs parmi les invités de cette édition du MAFF.
J’étais impatiente et très excitée de voir Shouka We Sekina parce que lors de la première édition du Festival du Film d’El Gouna en septembre 2017, j’avais déjà assisté au pitch de ce projet de film, et j’en avais gardé un excellent souvenir. Je voulais savoir si le film était à la hauteur de la présentation. Il l’était.
Des débats avec le public suivaient toutes les projections, qui d’ailleurs se faisaient pour la plupart à guichets fermés. Ce qui était quand même curieux, est que j’avais remarqué que la plupart du temps, les spectateurs qui posaient le plus de questions étaient les arabes. Les européens intervenant rarement, bien que les discussions se faisaient en anglais.
Tous les soirs, le MAFF organisait des « Arabian Nights »: avant la projection du film de 22h, un buffet syrien et de la musique orientale accueillaient les spectateurs et invités, dans une ambiance cordiale et chaleureuse, qui permettait de faire connaissance, discuter, échanger…
MAFF 2019 – Des musiciens pour animer les Arabian Nights
Par le biais de ces différentes activités, le MAFF essaye de favoriser les rencontres entre professionnels du cinéma européens et arabes pour une meilleure collaboration entre eux et de permettre à un public d’origine arabe de rester en contact avec sa culture, tout en la partageant avec des européens qui ont la curiosité de s’y intéresser.
En effet, grâce à une belle sélection des plus beaux films arabe de l’année, le MAFF permet à un public de culture différente et ayant des priorités différentes, d’avoir accès à la pensée arabe exprimée par ces films. Le cinéma ayant généralement une vision esthétique et un langage commun permettant aux spectateurs de toutes les nationalités d’entrer en interaction avec l’œuvre d’art.
Par ailleurs, ce public européen a ainsi l’occasion d’avoir une lecture et un angle de vue différent sur des sujets divers que les médias placent au premier plan, tels que l’extrémisme, le terrorisme religieux, l’immigration clandestine, les droits des femmes et des minorités….
Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si une étude a été faite pour mesurer l’impact que ce festival a sur les habitants de Malmö. Est-ce que les spectateurs ont ainsi acquis une plus grande compréhension de la culture arabe ? Est-ce que leur approche concernant certains sujets d’actualité a changé ? Est-ce que cette culture leur a donné envie d’en savoir plus sur cette région du monde, voire même de la visiter ? Etc….
De mon côté, pour essayer un peu de faire connaissance avec ce pays, j’ai consacré ma dernière matinée à Malmö pour découvrir la ville et son architecture. Malheureusement, je n’avais pas eu le temps de visiter ses musées, ni même de m’attabler à un de ses restaurant pour découvrir la cuisine locale. J’espère que je pourrais le faire lors de la 10ème édition qui est prévue du 8 au 13 octobre 2020.
Neïla Driss