CIFF 2024 – « My Favourite Cake » : Solitude et résistance en Iran
My Favourite Cake, réalisé par Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, est une œuvre cinématographique audacieuse qui transcende les frontières culturelles et politiques. Avec un parcours jalonné de succès, My Favourite Cake a conquis des festivals internationaux majeurs. Projeté lors de la 45ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF) dans la section Sélection Officielle Hors Compétition, le film a attiré une salle comble, suscitant des réactions passionnées de la part du public. Ce succès au CIFF vient s’ajouter à d’autres de distinctions internationales : le Prix du Jury Œcuménique et le prix FIPRESCI remportés au Festival de Berlin, ainsi que le Silver Hugo Award au Festival de Chicago, deux prix au Festival International du Film de Calgary : meilleur film international et prix du public.
Cependant, derrière ce parcours international brillant se cachent des réalités amères. Les réalisateurs Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, basés en Iran, vivent sous la menace constante des autorités. Interdits de quitter le pays, ils subissent des pressions qui témoignent des difficultés d’être un artiste dans une société totalitaire. Ils n’ont d’ailleurs pas pu assister à la première de leur film à Berlin. Leur film a été réalisé dans des conditions semi-clandestines, défiant les interdits. À l’écran, l’actrice principale apparaît sans voile dans des scènes domestiques, une transgression des lois iraniennes imposant le port du hijab en toutes circonstances à l’écran. Plus encore, My Favourite Cake met en scène des comportements interdits : une femme qui prend l’initiative de draguer un homme, un couple non marié partageant une soirée intime, la consommation de vin, des danses – des actes ordinaires ailleurs, mais qui constituent de véritables provocations en Iran.
Le courage des cinéastes est palpable dans chaque image du film, et leur œuvre résonne comme un cri de liberté dans un contexte de censure et d’oppression.
Une histoire simple mais universelle
Le film raconte l’histoire de Mahin, une femme de 70 ans vivant seule dans une maison aux abords de Téhéran, entourée d’un jardin. Depuis la perte de son mari et le départ de sa fille unique à l’étranger, Mahin mène une vie solitaire et routinière. Ses journées sont rythmées par des appels vidéo avec sa fille – souvent interrompus par les cris des petits-enfants – et par des rencontres sporadiques avec ses amies. Lors d’un après-midi autour d’un thé, une idée germe en elle : pourquoi ne pourrait-elle pas, à son âge, trouver l’amour ou simplement un compagnon pour briser la monotonie ?
Sa vie prend un tournant inattendu lorsqu’elle croise Faramarz, un homme solitaire comme elle, dans un restaurant pour retraités. Leur rencontre ouvre la porte à une relation subtile et pleine d’émotions, où chaque instant partagé devient une rare lueur d’espoir dans un quotidien autrement sombre.
La solitude comme thématique centrale
My Favourite Cake explore avec une finesse bouleversante le poids de la solitude, une expérience universelle qui atteint des proportions déchirantes dans le contexte iranien. Dans nos sociétés, la solitude des personnes âgées est déjà difficile à supporter : les conjoints disparus, les enfants éloignés, les journées qui se ressemblent. Mais dans une société comme l’Iran, cette solitude est exacerbée par des contraintes omniprésentes.
Mahin, comme de nombreuses femmes iraniennes, se heurte à des interdits qui restreignent ses interactions sociales et sa liberté. La mixité est strictement contrôlée, les loisirs sont limités, les voyages sont surveillés, et chaque geste est soumis à la vigilance des autorités ou des voisins, comme cette voisine intrusive qui frappe à sa porte pour s’assurer qu’aucun homme n’est présent chez elle.
Le film illustre cette oppression quotidienne avec une intensité poignante. Dans une scène clé, Mahin se rend seule dans un parc et assiste à une altercation entre la police des mœurs et une jeune femme qui refuse de porter son voile correctement. Mahin intervient pour défendre la jeune femme, un acte audacieux qui reflète non seulement sa désapprobation de ces lois injustes, mais aussi un clin d’œil aux jeunes Iraniennes qui se battent aujourd’hui pour se débarrasser du hijab obligatoire. Ce moment révèle un trait essentiel de la personnalité de Mahin : un esprit combatif qui refuse de se laisser écraser par l’oppression.
« Vous les tuez pour quelques mèches de cheveux ? », répond Mahin, une référence directe pour les membres du public à Mahsa Amini, décédée en garde à vue après son arrestation.
Lorsqu’elle parvient à sauver la jeune femme (et à éviter d’être elle-même arrêtée pour le même crime), Mahin lui dit : « Tu dois te défendre » – un message d’autonomisation qui ne peut être toléré sous le régime répressif du pays.
Un portrait subtil de la résistance et de l’humanité
Au-delà de la solitude, My Favourite Cake est une réflexion profonde sur la quête de bonheur dans un contexte de privation. Chaque geste de Mahin devient un acte de résistance silencieuse : se maquiller seule, regarder des films romantiques, boire un verre de vin avec Faramarz. Ces moments, pourtant simples, prennent une signification énorme dans une société où même les plaisirs les plus banals sont interdits.
Le film fait également écho à la nostalgie d’un Iran d’avant la révolution islamique, que Mahin évoque avec mélancolie. Elle se souvient des plages où elle portait des bikinis, des soirées où elle dansait en talons hauts et robes décolletées. Ces souvenirs contrastent douloureusement avec son présent, où elle doit se conformer à des règles rigides qui étouffent son individualité.
Un message universel
Sans dévoiler la conclusion, le film laisse le spectateur avec une sensation douce-amère. Mahin et Faramarz, bien qu’unis par une connexion profonde, se heurtent aux réalités implacables d’un régime qui restreint toute forme de liberté individuelle. Leur relation devient ainsi une métaphore des aspirations de tout un peuple : luttant pour des instants de bonheur dans un environnement hostile.
Les performances des acteurs, notamment celle de Lili Farhadpour dans le rôle de Mahin, sont remarquables. Chaque mouvement, chaque silence, exprime une richesse émotionnelle qui touche le spectateur au plus profond.
Une œuvre audacieuse et émouvante
My Favourite Cake est bien plus qu’un film ; c’est une œuvre militante, une déclaration d’humanité face à l’oppression. Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha offrent un témoignage vibrant des luttes intimes et collectives qui définissent la condition humaine en Iran. Leur courage, tant artistique que personnel, mérite d’être salué.
Pour ceux qui cherchent un cinéma qui émeut, inspire et interroge, My Favourite Cake est une perle rare. Il transcende les frontières culturelles pour offrir un message universel sur la solitude, l’amour et la quête de liberté. Une œuvre incontournable, qui résonne bien au-delà de l’écran.
Neïla Driss